Nos éditions

Conférences

le 3 septembre 2018

Management réinventé ? Doux rêve ou réalité ?

Elles sont de ces histoires que l’on se raconte au coin du feu, de ces belles histoires qui font oublier un instant les maux du management moderne, les burn-out et consort. Le 13 juin dernier, ces mots sont restés à la porte de la salle de la Carrière de Saint-Herblain. Interdiction d’entrer. Délit de sale gueule ? Parfaitement. Et c’est totalement assumé ! Pour clôturer son cycle « Qui aura le pouvoir demain ? », le Conseil de Développement de LoireAtlantique avait choisi de s’intéresser à l’entreprise. Pas celle qui brise, pas celle du patron tyrannique. Non, le CDLA a préféré faire goûter à la centaine de convives réunis, le breuvage qui occupe le verre à moitié plein. Une potion à base – entre autres – d’innovation managériale et de bien-être au travail. De belles histoires, sans feu de camp, mais avec la chaleur des moments d’échange et de convivialité.

Nouveaux leaders

Après la vision de « l’entreprise libérée » présentée par Laurence Parisot sur la scène de la Carrière, nous voulions en avoir le cœur net : Et si ce monde idéal, cette vision de l’entreprise moderne, présentée par l’ancienne patronne du MEDEF, n’était qu’un rêve ?

De la philosophie à la pratique, des mots aux actes, le CDLA s’est transformé en chercheur d’or. Aux 4 coins de la Loire-Atlantique, nous sommes allés voir s’il y a une réalité derrière les beaux discours. Et notre quête n’a pas été vaine. De notre périple, nous sommes revenus avec 3 pépites, 3 entreprises qui tracent la voie d’un management d’un genre nouveau dans le Département. Point final de cette balade, l’assemblée plénière du 13 juin était l’occasion pour nous, de partager notre carnet de voyage et nos belles découvertes. A l’option soirée diapo, nous avons préféré celle de la table ronde ! En présence de Laurence Parisot, pendant près de deux heures, des hommes et des femmes, des leaders, sont ainsi venus nous raconter leur entreprise pas comme les autres. Ils sont de Couëron, Machecoul ou Saint-Nazaire et ont en commun une histoire hors des sentiers battus.

Made in Delta Meca

Delta Meca, par exemple. L’entreprise de Couëron, spécialisée dans l’usinage en urgence et sur mesure de pièces de haute précision, est « née dans une cuisine, entre le four et le frigo ». C’est ainsi que le raconte Christian Caillé. Il est l’une des deux pierres angulaires de ce projet qui a vu le jour en 2008 « avec les moyens du bord » vous dira Mireille Bréhéret, la nouvelle associée et ancienne collègue, dans cette folle aventure. Folle car le pari était ambitieux : « en trois ans, nous voulions avoir l’envergure d’une belle PME » se souviennent les deux fondateurs. Et déjà, dans un coin de leur tête, il y avait l’idée d’ouvrir Delta Meca à l’actionnariat en interne. Mais il fallait « d’abord pérenniser l’entreprise ». Alors le duo attendra 2015 pour transformer sa SARL florissante en SCOP1 d’amorçage, la première du genre en France. Avec cette organisation d’un nouveau type, c’est la transmission de l’entreprise — et sa transformation définitive en SCOP — qui se prépare. Les 42 salariés ont 7 ans pour racheter leur part de l’entreprise. En revanche, ils ont dès aujourd’hui, la majorité des voix. C’est un bouleversement complet dans la vie de l’entreprise. « Allez faire entendre à des ouvriers qu’ils peuvent devenir actionnaires! » sourient Mireille et Christian. Alors il a fallu « travailler sur la gouvernance, sur le collectif pour faire changer les mentalités ». Et les deux dirigeants ont pu constater que la formation (plus de 100000 euros y sont investis chaque année) et la communication faisaient des miracles. Aujourd’hui, 95 % des salariés sont sociétaires — seules deux personnes ont quitté l’entreprise ! Dans les faits, cela ne veut pas dire que toutes les décisions stratégiques se prennent collégialement. Il y a des administrateurs. Mais chaque décision doit ensuite être approuvée en assemblée générale. Dans le quotidien, cela marche à la confiance. « Il y a de plus en plus de commissions en interne. Les salariés sont amenés à prendre des décisions ». Et Christian donne l’exemple des processus de recrutement made in Delta Meca : « Quand on recrute un tourneur fraiseur, on demande aux tourneurs-fraiseurs de l’entreprise leur avis sur la personne retenue ». Et pour l’avenir ? L’agenda de Mireille et Christian est clair : « On transmet, on accompagne, on transmet dans 3 ans ». 3 salariés de l’entreprise sont ainsi accompagnés pour préparer la relève. La démarche est courageuse. « Il faut avoir de fortes convictions pour accepter de vendre son entreprise moins chère pour la transmettre à ses employés » reconnaît Christian. Mais les patrons restent fidèles à leur adage : « Chez nous, on est plus qu’un ouvrier ».

Christian Caille et Mireille Breheret, dirigeants de Delta Meca.


Quand on recrute un tourneur fraiseur, on demande aux tourneurs fraiseurs de l’entreprise leur avis sur la personne retenue - Christian Caillé, Delta Meca

Quotation

Du bonheur cash

Et ce n’est pas Laurent Guillou qui s’en offusquera. Ce quadra originaire du Finistère a installé sa société de nettoyage Groupe Facility à Saint-Nazaire. Son leitmotiv  : « Chez nous, vous ne serez pas une pauvre femme de ménage de m… ». Il est comme ça, Laurent Guillou! Il n’est pas du genre à mâcher ses mots. Le Breton est cash. Cash, comme lorsqu’il décide de quitter son poste de responsable d’agence d’une grosse entreprise de nettoyage. « La crise de la quarantaine » dit-il, « le besoin de passer à autre chose », de trouver un ailleurs où il ne passerait pas 90 % de son temps à résoudre les plaintes des clients et des salariés. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Laurent Guillou a décidé, avec un ancien collègue, de monter sa propre boîte. Son ambition : mettre le bonheur des salariés en cœur de son entreprise. Démago, pensez-vous ?  Non, juste convaincu. « Pour être serein demain, on n’a pas d’autre choix que de penser comme cela ».

Vincent Rivière et Laurent Guillou, fondateurs du groupe Facility

« Un salarié heureux, c’est un client heureux »…

… martèle Laurent. Il a d’ailleurs fait de cette maxime, l’une des règles d’or de sa SARL. « Ici, c’est le salarié d’abord, le client ensuite ». Et pour renverser complètement la pyramide de l’entreprise, Laurent Guillou a testé « plein de trucs ». « A en rendre fous les salariés » admet-il, sourire aux lèvres. Parmi les petites fiertés de Laurent, il y a notamment la mise en place d’un rapport d’étonnement. Il est rempli par chaque salarié, un mois après son arrivée dans l’entreprise, pour faire le point sur ses attentes et ses difficultés. Le patron de Facility cite aussi les ateliers théâtre qui permettent à chacun des 60 salariés de l’entreprise de se mettre à la place de l’autre, de travailler sur l’équilibre entre le milieu professionnel et la sphère personnelle. « C’est aussi une belle occasion de travailler sur l’image que les salariés, hommes et femmes de ménage, ont d’eux-mêmes » assure le chef d’entreprise. De même, chaque salarié constitue son chariot, fait ses choix de matériel car ce qui concerne une personne implique une personne.


Les salariés sont plus à l’aise pour remonter l’information quand il y a un problème avec le client, a constaté le chef d’entreprise.

Quotation

Une histoire de confiance

Mais Laurent Guillou ne verse pas dans l’angélisme. « Il y a des choses qui n’ont pas marché » reconnaît-il, mais « le plus important c’est l’écoute des attentes des salariés, c’est une histoire de confiance ». C’est cette confiance qui permet l’enchantement des salariés, « les clients internes » comme on les appelle chez Facility. C’est aussi cette confiance réciproque qui permet à l’entreprise de tourner rond. Mais la confiance et la bienveillance s’accompagnent aussi de règles non négociables. Et en cas de transgression, la sanction est immédiate. « Si une règle n’est pas respectée, on fait en sorte que la personne parte vite, très vite ». On vous avait prévenu, il est comme ça, Laurent Guillou. Cash. Avec le Breton tout est dit, rien n’est caché.

Proginov, une entreprise en toute transparence

Voilà d’ailleurs un slogan qui pourrait être aussi la marque de fabrique de Proginov. Salaires connus et transparents, publication des primes et des notes des collaborateurs… Philippe Plantive, qui dirige cette SA, n’est pas du genre, lui non plus, à en cacher sous le tapis! La société installée à Machecoul, emploie 221 personnes qui imaginent des solutions logicielles pour les entreprises. Et ils ne font pas qu’imaginer, les salariés de Proginov; ils décident aussi! 85 % d’entre eux sont actionnaires de l’entreprise. Et si Philippe Plantive occupe aujourd’hui le fauteuil de président, c’est justement parce que les actionnaires-salariés l’ont élu. Ce plébiscite, c’est avant tout le résultat de son attachement à l’entreprise. Philippe Plantive y a gravi tous les échelons depuis son arrivée comme stagiaire. Il avait alors 17 ans, Proginov s’appelait encore Progiouest. C’était une autre époque… Reste qu’aujourd’hui, Philippe Plantive a fait de cette fidélité à l’entreprise, sa philosophie de management.

« Il faut épouser la cause commune. Le plus important dans l’entreprise, c’est l’entité ; le collectif est la base de tout ». Philippe Plantive y tient, il est patron, oui, mais patron au service des collaborateurs. La clef de la réussite et du bien-être des équipes c’est d’abord le partage des connaissances et des compétences. Tout le monde chez Proginov doit pouvoir apporter son savoir et le faire valoir. Le président résume cela en une formule, « ce n’est pas parce qu’on a un titre que l’entreprise doit vivre au rythme que l’on décrète. Les salariés doivent pouvoir s’exprimer librement ». Et concrètement? A Proginov, cela passe notamment par plus de délégation et de transparence. Dans l’entreprise, tout est connu et tout fait l’objet de validation dans les différentes commissions internes. Les augmentations de salaire, les notes des collaborateurs (ils sont notés en Conseil d’Administration) par exemple, sont affichées. « Il faut que les salariés sachent où ils vont » argumente le président. Cela veut dire : « qu’il faut être précis sur là où on va et être le premier à respecter les règles qui sont fixées ».

Philippe Plantive, fondateur du groupe Proginov


Il est important de pouvoir faire sans PDG, nous ne sommes pas pour autant une entreprise libérée, je n’aime pas le terme, ici on ne fait pas de marketing social. - Philippe Plantive, Proginov

Quotation

Un Pdg sans privilèges

Chez Proginov, ne cherchez pas les passe-droits, il n’y en a pas. Tenez, la prime de procédure (prime versée de fait à tous les salariés et retirer en cas de manquement au bon fonctionnement de l’entreprise), le premier à l’avoir perdu… c’était le patron. Mais on ne l’y reprendra plus… Depuis Philippe Plantive a appris à transmettre ses frais de mission en temps et en heure! Il a surtout appris à prendre de la distance avec sa fonction. « Il est important de pouvoir faire sans PDG » vous dira Philippe Plantive. Car le patron n’aime pas les étiquettes. D’ailleurs, ne vous avisez pas à lui coller celle d’entreprise libérée. Ici, « on ne fait pas du marketing social » vous répondra Philippe Plantive, les deux pieds dans le réel.

L'heure du bilan

 

Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, nous a présenté une conférence sur le management réinventé.

Une année de pouvoirs de tous types Parler de l’entreprise pour clôturer notre cycle sur « Qui aura le pouvoir demain ? ». L’idée pouvait paraitre saugrenue. Et pourtant. Tout au long de cette année de conférences, nous avons tenté de faire le tour de la question. Nous avons notamment observé les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes, entre les décideurs publics et les citoyens, entre l’autoritarisme et la non-violence. Nous nous y sommes intéressés, et nous avons surtout découvert des pistes vers des relations de pouvoir souhaitables. Et finalement, ces chemins faits d’initiatives et d’engagements sont aussi ceux qu’ont choisi d’emprunter les chefs d’entreprise qui nous ont accompagnés le 13 juin dernier. Ces décideurs n’ont pas oublié que derrière le mot société qui colle à l’entreprise, il y a une définition. Elle nous parle de milieu humain, caractérisé par des institutions, des lois, des règles. L’entreprise serait donc une organisation sociale miniature; elle n’est, en somme, que la reproduction à petite échelle de notre société avec un grand S. Se préoccuper de l’organisation du pouvoir dans l’entreprise, c’est finalement s’intéresser à l’organisation du pouvoir dans la société. En cela, nos chefs d’entreprises sont des vigies. Faire changer les choses dans la société, cela commence, entre autres, par des changements dans de plus petites organisations. Philippe Plantive, Laurent Guillou, Mireille Bréhéret et Christian Caillé l’ont bien compris. À leur échelle, ils ont testé les recettes que nos intervenants nous ont présentées tout au long de l’année. Et si chez un Romain Slitine , les ingrédients ne sont pas les mêmes que chez un Philippe Plantive, les secrets de leur alchimie culinaire se rapprochent : La confiance et l’enthousiasme… L’envie de croire que le pouvoir n’a d’avenir que s’il se partage.

int(2074)

Conférences

27 août 2018

Erreur 404 : Démocratie not found

Lire l'article