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le 16 août 2018

La vie privée & internet : un problème de vieux cons ?

Paradis des gamers, refuge des dissidents ou gigantesque marché noir…, Internet est avant tout un espace d’expression inégalé. Sur le Net, on peut tout dire, tout voir, tout acheter et depuis les révélations d’un certain Edward Snowden, le monde a pris conscience que l’on pouvait aussi tout épier. Les internautes sont passés brutalement d’un sentiment de sécurité (très relatif) à une véritable paranoïa : on ne pourrait plus envoyer d’emails, de SMS ou dialoguer en messagerie instantanée sans prendre un risque inconsidéré, Damned ! Mais alors, pourquoi la jeune génération s’expose-t-elle à ce point sur les réseaux sociaux ? Inconscience ? Immaturité ? Et si c’étaient ces « petits cons » qui avaient tout compris ? À l’heure où l’internaute serait devenu une marchandise que l’on peut espionner en toute impunité, Jean-Marc Manach remet les pendules à l’heure et nous livre les clés pour que notre vie privée ne devienne pas rapidement qu’un lointain concept, so XXe siècle !

Un journaliste iconoclaste

Internet, Jean-Marc Manach n’est pas tombé dedans quand il était tout petit. Tout d’abord parce qu’internet n’est apparu, dans sa version la plus proche de celle que l’on connaît aujourd’hui, qu’au début des années 1990 et ensuite parce que l’explosion du web ne date que des années 2000. À cette époque, sur la toile, seulement deux catégories de
journalistes : des techniciens, et des financiers. Très peu d’enquêtes, et encore moins de polémiques sur d’éventuels systèmes de surveillance. Jean-Marc Manach atterrit sur la toile en 1999, un peu par hasard, et ce hasard se transforme vite en passion. À cette époque, le web est soit encensé, soit diabolisé, en présentant les hackers comme de dangereux criminels. Sauf que ce sont les hackers les plus fervents défenseurs des libertés sur internet. C’est pourquoi Jean-Marc Manach collabore avec plusieurs d’entre eux et finit même par créer le site BugBrother, spécialisé dans la surveillance des surveillants. À partir de là, et compte tenu de ses activités, ce journaliste de talent apprend à protéger ses sources et ses données. Souvent affublé du qualificatif de « parano », il s’est finalement vu donner raison par l’affaire Snowden. Depuis, de nombreux internautes, journalistes ou non, se sont autoproclamés spécialistes de la vie privée et de la surveillance sur internet, ajoutant souvent de la confusion là où il n’y a pas lieu d’en avoir. Aujourd’hui, Jean-Marc Manach tempère et rectifie. Non, Internet n’est pas un espace dangereux, non, la NSA n’est pas derrière chacun d’entre nous, non, ce n’est pas non plus qu’un repaire de nazis ou de pédophiles. Internet est surtout un formidable outil qui gagnerait simplement à être bien utilisé par tout un chacun.


Au lieu d’interdire aux jeunes de poster des photos de leurs soirées sur Facebook, on ferait mieux de leur apprendre à développer leur esprit critique et à bien s’exprimer sur cet espace public numérique

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Interdit d’interdire

Sites, sex & fun

« Les jeunes sont tous tout nus sur internet », « Comment tu espères trouver du boulot en postant ce genre de photos sur Facebook ? » « Si cette fille continue à poser en minijupe sur Instagram, elle aura des problèmes  ! »… Selon Jean-Marc Manach, ce genre de remarques est typique des « vieux cons ». Car oui, les jeunes sont sur les réseaux sociaux, oui, ils postent parfois des photos de leurs soirées (souvent bien arrosées) et s’envoient aussi des clichés sur lesquels ils apparaissent dévêtus. Seulement, dans la majorité des cas, ces échanges restent cantonnés à leur communauté. Cela ne veut pas dire que la fuite de certains clichés ne pourra pas être à l’origine de véritables drames, mais il faut être conscient que ces pratiques de type sexting5 et autres font passer nos ados pour des enfants de chœur à côté de ce que les adultes peuvent diffuser.

Facebook, c’est public

Les jeunes connaissent donc sans doute mieux leurs limites que certains de leurs aînés. Ils ont grandi avec internet qui est devenu naturellement leur espace de sociabilité, au même titre que leurs parents se retrouvaient dans les cages d’escalier ou sous les Abrisbus. Facebook, SnapChat, Vine ou Ask (cf. glossaire en p. 4), la génération web 2.0 se retrouve en ligne pour partager sa vie sociale, à ne pas confondre avec la vie privée. Ces deux aspects sont en effet trop souvent confondus. Quand on poste une photo sur un mur Facebook où l’on a en moyenne entre 100 et 300 amis, cela ne relève plus de la vie privée, mais bien de la vie sociale. Fermer au public son mur Facebook, par exemple, apporte un faux sentiment de sécurité. Personne n’est à l’abri que l’un de ses contacts mal intentionné fasse une capture d’écran, ou rediffuse un message dans l’intention de nuire.

Des petits cons qui luttent pour la liberté de connexion

Quand ils ne montrent pas leurs fesses sur Facebook, les « petits cons » du web mènent aussi des combats d’un autre niveau. Surtout quand il s’agit de toucher à leur liberté d’expression. Dès les années 1990, certains pays comme la Chine ont censuré des mots dans les moteurs de recherche. Le gouvernement français, au travers de son projet de loi antiterroriste, souhaite également instaurer une forme de censure sur le web. Le problème c’est que censure et internet, forment un duo qui ne pourra jamais fonctionner. Sur internet, la censure entraîne inévitablement un effet de révolte très puissant qui aura finalement l’effet complètement inverse de celui souhaité au départ : l’effet Flamby6, si vous tapez sur un Flamby, eh bien il y en a partout ! Les différents projets de censure sont d’autant plus mal tolérés qu’ils émanent d’individus qui, pour bon nombre d’entre eux, peinent déjà à envoyer un email. Un ancien président de la République française a même déclaré il y a quelques années qu’il fallait « civiliser » internet… Le web ne serait donc qu’un repaire de sauvages qu’il faudrait éduquer ? C’est à se demander qui devrait éduquer qui… d’autant plus que la communauté des défenseurs des droits et libertés sur la toile est importante, et loin d’être docile. Quand, en Australie, le gouvernement a voulu censurer certains sites web, la créatrice de l’un d’entre eux, à caractère érotique, a rendu publique la liste des IP7 qui s’y connectaient. Au vu des adresses qui s’y trouvaient, il semblerait que de nombreux fonctionnaires ministériels se soient perdus durant leur navigation…


Les Anonymous sont aujourd’hui les plus fervents défenseurs de la liberté sur internet. Au départ, il s’agit d’utilisateurs du site 4Chan, sur lequel les visiteurs peuvent poster des messages sans inscription, et sont donc mentionnés comme « Anonymes ». Leurs décisions sont prises de façon collective et la puissance de leur organisation (non organisée !) reste inégalée sur internet. Leur première bataille a concerné la scientologie (projet Chanology), d’autres combats ont suivi, notamment les opérations Bart, Wall Street et leur mobilisation contre la fermeture du site MegaUpload4. Ils se sont particulièrement illustrés pour leur activisme lors du Printemps arabe.

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Une transparence plutôt opaque

Si c’est gratuit, c’est vous le produit !

Parmi les plus fervents défenseurs de la liberté sur le net se trouvent aussi les plus attachés à la protection de la vie privée. Car si Facebook et Twitter, pour ne citer qu’eux, sont bien des espaces publics numériques, les messageries, SMS et Clouds sont des espaces à caractère privé. Depuis l’affaire Snowden, le grand public a pris conscience que tout ce qui se passait sur internet pouvait être espionné. Pourtant, nos mails et conversations « privées » sont depuis longtemps scannés par les géants du web pour nous proposer des publicités toujours mieux ciblées. Car il faut bien avoir conscience que Google n’est pas un moteur de recherche et que Facebook n’est pas un réseau social, ce sont tout simplement de gigantesques régies publicitaires. Ces entreprises nous offrent gratuitement des espaces sur lesquels nous leur donnons, en toute bonne foi, pléthore de renseignements sur nos goûts, nos souhaits et nos habitudes de consommation.

« Je comprends et j’accepte »

Franchement, vous lisez les conditions générales d’utilisation en entier chaque fois que vous achetez un billet de train ou que vous installez une mise à jour sur votre ordinateur ? Si vous n’êtes pas familier des questions de sécurité sur internet, il y a fort à parier que non. Pourtant, ces conditions d’utilisation posent de vrais problèmes concernant le respect de la vie privée. De plus en plus étendus (les conditions d’utilisation de Facebook sont plus longues que la Constitution américaine !) et de moins en moins lisibles, ces textes écrits par des avocats ont pour unique but la protection juridique de l’entreprise en cas de plainte. Un projet est d’ailleurs en cours au Parlement européen, donnant lieu à la plus grande offensive de lobbying jamais observée de la part de plusieurs grosses firmes américaines. Et elles ont raison de s’inquiéter, car le projet vise à contraindre GAFA8 à respecter les normes européennes en matière de protection de la vie privée. Or, il s’agit de deux conceptions complètement différentes. Aux États-Unis, la FTC (Federal Trade Commision9) vise à sécuriser les échanges de données entre les entreprises. En France, le commission équivalente, la CNIL10, est beaucoup plus orientée vers la protection du citoyen.

Haro sur les fournisseurs d’excès !

Il y a quelque temps, crypter ses courriels et se promener avec ses données personnelles autour du cou était considéré comme de la grande paranoïa, Jean-Marc Manach en a d’ailleurs fait les frais. Mais ça, c’était avant ; avant les révélations de Snowden, avant la prise de conscience qu’internet n’est pas plus sûr que n’importe quel autre endroit réel. Le problème, c’est qu’aujourd’hui nous assistons à l’effet inverse. Tout est bon pour faire du buzz en surfant sur ce nouveau sentiment d’insécurité. De nombreux médias tirent à boulets rouges sur Google, Facebook et Twitter sans savoir ce qu’ils font vraiment, mais aussi ce qu’ils ne font pas.

Avoir son quart d’heure d’anonymat

Qui veut un cookie ?

En informatique, tout le monde laisse des traces. Et si vous pensez qu’il suffit de jeter un fichier à la corbeille pour qu’il disparaisse ou que nettoyer son historique de navigation vous rend votre statut d’anonyme, il vous reste une marge de progression pour renforcer la protection de votre vie privée. À chaque connexion, votre terminal subit une fouille en règle. Type de machine, OS installé, navigateur utilisé, serveurs visités, adresse IP… en quelques millisecondes, l’ordinateur est mis à nu. La surveillance ne s’arrête pas là. Lors de votre navigation sur la toile, vous serez à coup sûr confrontés aux fameux cookies, qui n’ont de sympa que leur nom. Ces fichiers textes vont espionner le moindre de vos clics. Chaque site visité va enregistrer le « scénario » de votre navigation afin de vous proposer des publicités toujours plus ciblées.

Surfez couverts

Halte à la fatalité ! Sur internet, on ne peut pas se protéger de tout, par exemple si vous refusez les cookies (vous en avez le droit !), de nombreux sites vous interdiront purement et simplement l’accès à leurs contenus. Par contre, vous pouvez régler votre navigateur afin qu’il refuse seulement les cookies qui contiennent des informations personnelles. Concernant la messagerie, il peut être bon de s’équiper de logiciels de cryptage, comme PGP (et ce même si vous « n’avez rien à vous reprocher ! »). Enfin, pour vos fichiers personnels, notamment les informations bancaires ou justificatifs d’identité ou de domicile, il est primordial d’utiliser les coffres-forts numériques (la plupart des banques le proposent via leur service en ligne.)

Vers plus de transparence

Les services visant à renforcer la sécurité sur internet se multiplient. Des multinationales comme Apple s’engagent dans des programmes de cryptage de leurs données utilisateurs. Même si nous sommes de plus en plus exposés sur la toile, nous avons aussi de plus en plus de moyens pour sécuriser nos informations. Dès lors, tout le monde peut, en s’en donnant les moyens, bénéficier de son quart d’heure d’anonymat. Alors, merci qui ?

Glossaire du web pour les nuls

Hackers : spécialistes et passionnés des problématiques de sécurité sur internet, ils exercent soit de façon légale, soit de façon illégale, dans ce cas, on parlera plutôt de crackers

Cookie : fichier texte collecté suite à une visite sur un site web. Il contient diverses informations, parfois personnelles, et est conservé par le navigateur

PGP : Pretty Good Privacy, logiciel de cryptage garantissant la confidentialité et l’authentification lors de communication de données. Pour les messageries instantanées, il s’agira du logiciel OTR

OS : Operating System, système d’exploitation

SnapChat : plateforme d’échange de photos. Les photos envoyées s’effacent automatiquement au bout d’un temps donné

Vine : application d’échange de courtes vidéos de 6 secondes avec les followers

Whatsapp : application de messagerie instantanée rachetée par Facebook au début de 2014

Ask.fm : site de questions / réponses largement fréquenté par les adolescents

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