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Conférences

le 20 août 2018

Se loger ou se nourrir, va-t-il falloir choisir ?

En empruntant ce chemin sur lequel vous n’aviez pas roulé depuis longtemps, vous voyez surgir un rond-point, un lotissement ou un hangar, posé là sans que vous vous soyez vraiment rendu compte de sa construction. Après tout, pourquoi pas ? Chemin faisant, vous en venez même à vous demander si ces champs servaient encore à quelque chose. Les rayons des supermarchés regorgent de stocks variés en provenance du monde entier. La modernité avance ! Mais dans les coulisses de cette scène si ordinaire se trament beaucoup plus d’enjeux qu’il n’y paraît. Pouvons-nous concilier désir de propriété et besoin de se nourrir en ville comme en campagne ? Les agriculteurs peuvent-ils encore trouver leur place dans des campagnes qui deviennent aussi lieu de ressourcement des citadins? Comment évolue la relation du citoyen avec ses aliments ? C’est par ces échanges que Christine Margetic a ouvert le cycle « Une Terre pour nourrir le Monde » à la fin de l’année internationale des sols.

De la quadrature du sol

Sans lui pas de vie ! Le sol nous nourrit. Nous en sommes responsables. Comment faire pour que nos sols ne se dérobent pas un jour sous nos pieds : rouleau compresseur ou moissonneuse ? Il est bien difficile d’en déterminer l’avenir : champs, logements, usines ou routes ? L’équation est posée  ! Un vrai casse-tête en réalité ! Le gourmand consommateur aspire à manger plus local ! Le nombre d’agriculteurs diminue. Les terres alimentaires se font grignoter. Depuis les trente dernières années, chaque habitant supplémentaire a mobilisé, en moyenne, un espace de 800 m2, une moitié pour habiter, l’autre pour y vivre. La Loire-Atlantique est le 5e département, hors Île-de-France, où la part des sols artificialisés est la plus élevée (14 % de la superficie du département en 2010). Avec une telle attractivité, dur dur de satisfaire nos besoins primaires. Sans compter que le tiers des terres consommées à cet effet puise dans notre réserve de sols de bonne qualité. Ces derniers ont mis plusieurs centaines d’années à se bonifier. Combien de temps pourrons-nous vouloir nous loger sans devoir réfléchir à comment nous nourrir ? Notre conférencière a ouvert le débat ! Redécouvrez nos agriculteurs avec un autre regard. Du cadre législatif de nos campagnes à la production alimentaire dans nos villes, en passant par le rapprochement entre paysans et consommateurs, une visite passionnante vous attend  !


Les paysans ne sont pas uniquement des acteurs économiques. Ce sont aussi des acteurs sociaux d’une société qui bouge de plus en plus et qui a besoin d’eux pour se nourrir.

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Se nourrir sans se loger ? Touche pas à ta terre !

Pré carré à défendre

La Loire-Atlantique est marquée par l’influence urbaine (90 % de la population vit dans une des deux grandes aires urbaines3). Au-delà des remembrements successifs, nos espaces agricoles ont été reconfigurés au siècle dernier par l’étalement urbain. Le passage d’une agriculture paysanne à une agriculture d’entreprise n’y est pas étrangère non plus. Face au phénomène, le foncier agricole a vu le nombre de ses défenseurs augmenter. Pour préserver le monde agricole dans cette société mondialisée, la première étape est d’en protéger l’outil principal de travail : les terres. L’acteur public est le premier à permettre cela et le législateur prend part crescendo à la lutte contre l’étalement urbain. Un coup d’œil dans le rétroviseur juridique nous rappelle qu’il revient à chaque collectivité depuis les années 1980 de gérer les sols de façon économe (loi Defferre). En 1999, les zones agricoles protégées (ZAP) sont inscrites au Code rural. En 2005, la loi relative au développement des territoires ruraux instaure les PEAN4. Ces derniers innovent en matière de gouvernance. Un programme d’actions permet d’envisager collectivement la pérennité de la vocation agricole des terres ou leur reconquête. L’outil reflète ainsi un engagement politique fort dans la durée. Ce n’est pourtant qu’à partir de 2010 que les collectivités s’en emparent vraiment, la Loire-Atlantique en peloton de tête. En 2014, 77 884 hectares sont inscrits en France dans des PEAN. Notre département compte trois PEAN, soit 21 450  ha, dont l’un des plus importants en France, celui des Trois Vallées (19 300 ha, sur 9 communes autour de l’Erdre, du Gesvres et du Cens).
Les années 2010 ont permis de faire reconnaître aux yeux de tous, le caractère excessif de la consommation d’espace. La loi « Grenelle 2 » portant l’Engagement national pour l’environnement (ENE) et la loi de modernisation de l’agriculture l’ont acté dans ce sens. L’objectif d’une gestion économe des sols, désormais inscrit au Code de l’urbanisme, est enfin renforcé depuis 2014 par les lois ALUR5 et LAAAF6.

De la sémantique à cultiver

Mais le cadre juridique, si nécessaire soit-il, semble aujourd’hui insuffisant. Remettre au goût du jour le regard que nous portons sur le rôle nourricier des champs et des agriculteurs qui s’en occupent s’impose ! Différentes opérations émergent pour revaloriser cette place. Certaines collectivités n’hésitent pas à jouer avec les mots. Au détour d’un chemin, vous pouvez désormais fouler le sol de « champs urbains » (métropole rennaise), de « terres alimentaires » (Pays de Lorient) ou encore de terres nourricières. Pour aller plus loin, des collectivités créent des marques de territoires (Les Jardins du pays d’Aubagne). D’autres enfin expérimentent et interviennent sous des formes innovantes : contrats incitatifs ou interventions foncières dans le but de mieux maîtriser l’usage du sol.
Mais la société civile semble bien décidée à ne plus attendre que tout vienne d’en haut. Elle n’est donc pas en reste sur la question ! Suivez le guide, la visite continue.


Le saviez-vous ? En Loire-Atlantique, SOS Paysans en difficulté 44 (du mouvement Solidarité Paysans) intervient grâce à des agriculteurs bénévoles et solidaires auprès des confrères en difficulté. Cette association, avec l’aide d’un travailleur social, les aide notamment à défendre leur outil de travail et leur toit. www.solidaritepaysans.org

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Culture et créativité : c’est ici et maintenant que tout se réinvente !

Les réalités du monde agricole restent difficiles à cerner pour monsieur et madame tout le monde. La diversité des agricultures et des agriculteurs n’aide en rien, la concurrence mondiale non plus. Les aliments parcourent en moyenne 2 500 km pour arriver dans notre assiette. Sans même parler des gaspillages et des pertes depuis la sortie de la ferme, cette préoccupation d’éloignement entre consommateurs et producteurs grandit chaque jour un peu plus dans les esprits.

200 kilomètres à la ronde

Les actions citoyennes de sensibilisation semblent porter leurs fruits pour réduire les distances. Il apparaît que 160 km soient raisonnables en termes de santé, d’ écologie et d’économies pour se nourrir en gardant une diversité alimentaire. C’est celle qui est prônée par le mouvement des Locavores. Vous souvenez-vous de l’émission de France 5, en 2012 ? Seriez-vous prêts à relever le défi de ces familles qui se sont nourries durant un mois uniquement de denrées produites localement ?

La campagne s’invite aussi en ville !

Les marchés reprennent du galon ! Ils sont le maillon intemporel des chaînes alimentaires de proximité. Le consommateur citadin redécouvre aussi ses voisins agriculteurs par le biais d’AMAP, de ruches ou d’autres structures intermédiaires de distribution de proximité, comme Paniers Bio Solidaires ou Kerbio. Acteurs solidaires, ils intègrent au passage dans leur filière des jardins d’insertion (Jardin de Cocagne7, Oser Forêt Vivante). Les commerçants ne sont d’ailleurs pas en reste. Ils deviennent relais, favorisant ainsi le lien social dans les bourgs et les quartiers.

Citoyens : faites pousser vos fermes !

C’est ce que propose le mouvement Terres de Liens. Cet exemple montre que les citoyens se réapproprient l’avenir de leur territoire et agissent aussi au cœur de la production. L’association soutient l’accès collectif et solidaire à la terre et à sa gestion. La structure foncière collecte l’épargne citoyenne pour l’achat. Une fondation recueille des dons de fermes et de terres afin d’y installer des porteurs de projets. Boucle bouclée, le pré est clos ! Une vingtaine de fermes Terres de Liens sont implantées dans les Pays de la Loire. Soutiendrez-vous la prochaine ?
Ainsi, la relocalisation des filières alimentaires, du champ à l’assiette, est soutenue par ces différents mouvements. Ces actions permettront certainement d’améliorer de façon pérenne le sort de davantage d’agriculteurs. Au-delà de l’aspect économique, on les redécouvre comme acteurs sociaux d’un territoire en mutation et qui a besoin d’eux. La Loire-Atlantique et ses voisins offrent des productions diversifiées.
C’est un atout certain pour notre avenir. La quantité sera-t-elle suffisante pour parfaire les petits plats des voisins consommateurs plus sensibles au « manger local » ?

Epluche ta ville ! Demain : tous jardiniers ?

Il semble qu’il y ait une alternative complémentaire aux champs et aux prairies. Terrain de tous les maux, mais surtout espace de tous les possibles, l’espace urbain pourrait lui aussi devenir producteur assumé. Mettons toutes les chances de notre côté pour assurer notre sécurité alimentaire ! Imaginez une ville vivrière, comestible ? Ici, point de maisons en pain d’épices, mais de l’innovation technologique et surtout sociale en barres, et de la joie de planter au pied des immeubles comme sur les toits ! La ville dispose d’un potentiel inexploré de production agricole saine qui complèterait celle des champs. Il y a cinq ans, les Nantais de l’agence Faltazi parlaient déjà de symbiose urbaine et l’ont mise en scène via les Ekovores www.lesekovores.com.

Cultures tous terrains

Aujourd’hui, la France est en retard, mais des initiatives poussent comme des champignons, relayées par des collectifs tels que les Idéelles de Malakoff ou encore Nantes ville comestible. Elles s’adaptent avec ingéniosité aux configurations protéiformes, pour le plus grand bonheur des jardiniers refoulés ! Des projets de paysages comestibles, de micro-fermes (ZAC Doulon-Gohards à Nantes), de tours vivantes (Rennes), de fermes verticales (Sky greens à Singapour) voire de toits hydroponiques permettent d’introduire la production alimentaire au cœur des villes. Certains habitants ont même acquis l’art de transformer leur jardin en exploitation hyperproductive. Micro-jardin pour maxi récolte ! Exemple remarquable, la famille Chauffrey, près de Rouen, a produit, en 2015, 300 kg de fruits et légumes sur 150 m2 de terrain.
Tous les acteurs des villes vont devoir se mettre aux goûts du jour ! Architectes et urbanistes, par exemple, ont du pain sur la planche pour parler agriculture urbaine ! Car, chemin faisant, il se pourrait désormais que vous croisiez un enclos mobile poussé par un éleveur urbain. Il se pourrait aussi que des habitants vivant en HLM vous vendent leur fromage de chèvre ! Et eux n’attendront pas que ça se passe !

Alors ? Se loger ou se nourrir ?

Nul besoin de choisir ! À la question « faudra-t-il encore des paysans pour nourrir le monde ? » la réponse est oui ! Les consommateurs sont plus nombreux à déployer des réponses citoyennes pour compenser les timides résultats du législateur. Mais clé des villes ou clé des champs, demain, celles-ci pourraient n’ouvrir qu’une seule et même porte ! Agriculteurs, paysans ou jardiniers ingénieux devront relever collectivement le défi d’une production plus locale. Des assiettées de qualité pour tous, tout en permettant d’accueillir de nouveaux habitants ! Un art de vivre pour satisfaire rats des villes comme rats des champs.

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