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le 16 août 2018

Réseaux sociaux & dépendance, de l’intox à la détox

C’est l’histoire d’un mec. Un mec qui dormait avec son portable sous l’oreiller, qui consultait ses messages avant même de se lever le matin, un mec sous perfusion numérique. Et un jour, c’est trop, vraiment trop, et toute la vie de ce mec, qui tenait en équilibre, un équilibre plutôt instable, se voit remise en question… Ce mec, c’est Guy Birenbaum, une voix, une gueule aussi. Radio, télé, édition… ce passionné de média a touché à tous les domaines, souvent avec succès. Écrivain, chroniqueur, journaliste et blogueur reconnu, c’est sur Internet que la machine s’est emballée, plus précisément sur les réseaux sociaux. En mai 2015, Guy Birenbaum est venu raconter son parcours, les épreuves qu’il a traversées et surtout comment il a fini par sortir la tête de l’eau. Fascinants, attirants, souvent violents, les réseaux sociaux sont devenus une extension de la vie sociale. Ces outils utilisés en masse ne sont pourtant pas sans conséquences sur nos rapports avec les autres. Comment de simples plateformes de diffusion et de mise en relation peuvent-elles déclencher mal-être et dépressions ? Comment se prémunir d’une éventuelle addiction ? Entretien au cœur des réseaux sociaux avec Guy Birenbaum, un rescapé du web.

Pouvez-vous nous décrire une journée dans la tête de Guy Birenbaum, avant ?

Guy Birenbaum : 4h30 du matin, c’est l’heure de me lever. Non, pardon, c’est l’heure de regarder mes messages et ensuite de me lever. C’est tôt, mais pas exceptionnel quand on travaille pour une matinale. Un petit tour sur l’ordinateur, histoire de peaufiner la chronique que je vais présenter vers 7 heures sur Europe 1. Ensuite je file sous la douche (oui, vous saurez tout !) toujours accompagné de mon téléphone et départ à 6h pour la radio, où je présente ma chronique quotidienne en direct. 7 heures. retour à la maison, j’accompagne les enfants à l’école. Enfin, accompagner c’est un bien grand mot. « Je somnambule les enfants », un œil sur le trajet et l’autre sur mon téléphone, j’envoie des messages aux gens que je viens de quitter et je vérifie l’activité de mon compte Tweeter suite à ma chronique. Peut-être que ma femme me parlait, ou bien mes filles, peut-être pas, je ne m’en souviens plus.

Des clics mais surtout des claques

Comment peut-on tenir un tel rythme ?

GB : Eh bien justement, on ne tient pas. Mon patron m’a rapidement arrêté le matin, mais mon corps ne l’a pas compris. Il continuait à se réveiller à 4h30. En sueur. Quitte à être réveillé, j’écrivais mes articles plus tôt, toujours plus d’articles. Des articles toujours plus virulents. L’adrénaline des matinales et du direct me manquait, il fallait que je la retrouve par un autre moyen. Ce moyen pour moi, c’était de cogner toujours plus fort dans mes articles, de courir toujours plus, plus vite. Bon an mal an arrive l’hiver 2014. J’ai mal au dos, puis au ventre. Viennent ensuite des palpitations, bizarre pour un coureur entraîné comme moi. J’ai donc passé des examens, beaucoup, pour au final ne rien trouver, strictement rien.

Pourtant vous aviez de vrais symptômes …

GB : Mais oui, c’est pour ça que j’ai refait des examens, qui n’ont rien donné, puis le verdict est tombé : « Burn out » comme on dit. Mais n’ayons pas peur des mots, il s’agissait en fait d’une dépression. Et quand on fait une dépression, c’est pas mal d’aller « voir quelqu’un ». Et j’ai bien fait, car il m’a fallu très peu de temps pour me rendre compte que ça n’allait vraiment pas du tout et que dans ma vie il y avait trop de trop. Trop de Tweets, trop d’Instagram, trop de Facebook, de notifications, de push, de violence, d’arrogance et de prétention. Un jour je n’ai plus réussi à sortir de mon lit. J’avais des peurs irrationnelles, de tout, et c’était inexplicable. Pendant plus d’un mois je me suis complètement isolé du monde extérieur, je ne sortais quasiment plus. Plus rien ne m’intéressait.

C’est là que la psychotérapie intervient ?

GB : C’est grâce à mon psychotérapeute que j’ai pu faire le lien entre mon histoire familiale et mon état psychique. Mes parents, juifs, ont été cachés par des Justes pendant la Seconde Guerre mondiale. Mon père, Robert Birenbaum, faisait partie des résistants et a pris le pseudo de Guy. Mon prénom. Sans doute un prénom trop lourd à porter. Le trop de web, le trop de travail, le trop d’infos, le trop de tout… cachait en fait un type qui avait peur. Cette peur a jailli d’Internet. De la violence, du racisme, de l’antisémitisme, devenus récurrents depuis quelques années sur les réseaux sociaux. Enfant, je ne me suis jamais fait traiter de sale juif. Sur Internet, souvent. Sur le web, on développe des comportements qu’on n’aurait jamais dans la vraie vie. Toutes les formes de violence sont accélérées et facilitées par Internet. Ma dépression n’est pas née d’une hyperconnexion, mais en était un symptôme flagrant. Et puis, petit à petit, les choses se sont améliorées, j’ai revu un, puis trois copains. Le moteur est reparti, mais ça faisait longtemps qu’il était malade. J’ai eu beaucoup de chance. Un médecin attentif, de bons médicaments, une psychanalyse, une épouse formidable et un patron qui m’embauche pour que je change de radio… Je suis privilégié, j’en ai conscience.


Je ne suis pas du tout déconnecté. Mais j’ai repris la maîtrise du temps, la maîtrise de mon temps. Je ne suis pas déconnecté, je suis reconnecté, mais à la vie. Ce n’est pas tant Internet qui est mauvais, mais les usages qui ne sont pas adaptés. Il faut une régulation personnelle. Chacun doit pratiquer une autodiscipline pour couper, décrocher, se sortir de ce flux. Moi, mon cerveau n’est pas capable de le supporter. La responsabilité individuelle, il n’y a plus que ça qui peut marcher. On ne peut plus forcer les gens à penser d’une certaine façon, ça ne marche plus, ça. L’être humain se construit aussi dans la transgression. Il faut tout simplement savoir trier. Il faut des guides, ça peut être dans la famille, à l’école… Il ne faut pas interdire les outils, il faut bien les utiliser, bien les apprivoiser, et affûter son esprit critique, cela passe par l’éducation, la pédagogie, l’enseignant formés… De la même manière qu’il n’y a pas eu d’apprentissage de la télé, il n’y a pas d’apprentissage d’utilisation du web. Et là, nous sommes dans un virage bien plus important. On devrait se passionner plus que ça sur la façon d’utiliser les outils numériques. C’est plus important de savoir trier l’information que de savoir coder.

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De l’hyperconnexion à la reconnexion

En ce qui vous concerne, qu’est-ce qui peut pousser un individu normal à avoir un comportement compulsif, une conduite addictive vis-à-vis de ces outils ?

GB : Je crois que le trop est un élément de réponse. Moi je n’étais pas équipé pour répondre à toutes ces sollicitations, et je ne suis pas certain que tout le monde le soit. Un concept formidable sur le web, c’est la sérendipité : trouver quelque chose qu’on ne cherchait pas. On peut aller très très loin et au final, on n’arrive plus à se concentrer. C’est difficile à gérer. Le web, c’est le meilleur endroit pour se perdre parce que c’est l’infini. Moi qui voulais me cacher, c’était l’endroit idéal. Sur Internet, on a le sentiment d’être puissant, de tout maîtriser, mais au moment où il faut revenir à l’essentiel, on a perdu du temps, beaucoup de temps. Sait-on encore ce qu’on cherchait  ? L’infini, le libre-service sans sortir de chez soi, c‘est immense. Pour le contrôler, je suis obligé de m’auto-discipliner pour ne pas succomber.

Qu’est-ce qui a changé dans votre rapport à Internet et aux réseaux sociaux ?

GB : Ma traversée du miroir m’a permis d’apprendre. Je pense aujourd’hui pouvoir donner des astuces pour bien vivre avec le net. Ces trucs, je les applique tous les jours. D’abord, j’ai retiré toutes les notifications de mon smartphone. Tous les push, alertes…, etc. Ce qui inonde votre portable toute la journée est-il si important ? J’ai aussi un chiot, Jedi. Tous les jours, Jedi me promène, pendant une heure. Je fais exprès de ne pas prendre mes lunettes, comme ça je ne vois rien sur mon portable. Je gagne une heure en pleine nature. Je me suis également totalement détaché des « buzz », des clics, etc. Ça ne m’intéresse plus du tout. Je ne rentre plus dans aucune polémique. Je gagne un temps fou pour des choses bien plus intéressantes. Je connais les dangers du temps réel et de l’instantanéité. Même au travail, tous les jours, je traite des sujets qui ne sont pas ceux dont tout le monde parle. À mon âge et avec mon parcours, j’ai le luxe de pouvoir traiter de ce dont j’ai envie à l’antenne.

Vers une dépression collective ?

Est-on plus exposé à l’hyper connexion quand on travaille dans les médias ?

GB : Je reçois tous les jours, depuis que le livre est sorti, quatre ou cinq emails ou des messages sur Facebook ou Twitter. Ces gens sont enseignants, infirmiers, aides-soignants, commerçants, routiers… Chacun a son trop. Trop de mails, trop de push, trop de Facebook, trop de messages, trop de sollicitations, trop d’images, trop d’émotions. Le trop est partout. Chez les particuliers et dans les entreprises, médiatiques ou non. Ces gens sont eux aussi dans la souffrance du trop. Quand on reçoit un tel écho sur un sujet aussi personnel qu’une dépression, ça veut dire quelque chose. Mon livre ne s’appelle pas Histoire d’une dépression française pour rien, j’ai l’impression que je ne suis pas le seul. Aujourd’hui, il n’y a pas qu’Internet qui va vite, même au sein des entreprises, il faut faire plus vite, plus de quantité, dépasser la concurrence, etc. Tout ça est exponentiel. L’éducation doit se faire aussi dans ces secteurs. Dans les médias, mais comme partout, il y a une course à la surproduction, parfois au mépris de la qualité. C’est une catastrophe. Il faudrait ralentir pour enfin produire de la qualité. Il est nécessaire de s’autoréguler pour retrouver de cette qualité. Ce n’est pas inhérent au milieu journalistique, c’est tout le monde, partout, et c’est un phénomène sur lequel on doit réfléchir, pour nos enfants. Mais ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait baisser la fièvre, c’est l’éducation, l’éducation et l’éducation. Trier et encore trier, ralentir.


Chaque jour qui passe, je trouve Internet génial, utile, je rencontre des gens que je n’aurais jamais rencontrés. Vive Internet, il n’y a pas de débat. En revanche, les usages et les pratiques, attention !

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Ces gens qui se connectent en permanence, sur Facebook notamment, c’est le résultat d’une forme de solitude. Aujourd’hui, on assiste à des scènes où trois enfants ensemble dans la même pièce peuvent être tous les trois sur leurs téléphones. Il y a un problème ! Ils n’ont rien à se dire ? Sur les moteurs de recherche, un des sujets qui revient le plus est : « boring », je m’ennuie. Là-dessus aussi je crois aux vertus de l’éducation. Se reconnecter à la vie plutôt qu’être connecté à des inconnus. Mais c’est compliqué, car on est quasiment trois heures par jour sur nos portables. Rien qu’en le touchant… Mais qu’attend-on de si urgent sur nos smartphones ? Il n’y a pas quelqu’un qui meurt dans la famille tous les jours !

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