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le 3 septembre 2018

Pouvoir et médias : revue de presse d’une liaison dangereuse

La France, pays des droits de l’Homme, de la laïcité, terre de liberté d’expression et d’indépendance de la presse. Autant de préceptes que le monde entier nous envie. Trop beau pour être vrai  ? Si nous avons la chance de vivre en démocratie avec effectivement des médias très variés, leur indépendance est plus que jamais remise en cause. Les médias seraient de connivence, presque tous de gauche, ils diffuseraient des contrevérités, voire des fake news1 . En bref ils seraient les maîtres du monde et feraient la pluie et le beau temps sur toute la société. À l’heure de la dictature de l’information continue, les médias sont-ils toujours un contre-pouvoir ou un quatrième pouvoir fort ou forment-ils un quatrième pouvoir capable d’émerger ? Quels liens les journalistes entretiennent-ils avec le cinquième pouvoir, celui de l’opinion publique  ? Éclaireurs des consciences ou influenceurs ? De quels ressorts disposent réellement les médias ? Sont-ils indépendants ? Quelles sont leurs responsabilités ? Panorama d’une profession

Journaliste un métier de pouvoir, mais surtout de devoirs ?

Souvent cité sur le podium des professions rêvées des enfants, derrière pompier et vétérinaire, le métier de journaliste est pourtant bien éloigné de l’image d’Épinal. Les médias sont aujourd’hui aussi nombreux que variés, et il y a autant de façons de faire du journalisme que de journalistes. Pourtant, l’ensemble de la profession est soumise aux mêmes droits et aux mêmes devoirs, pour le reste c’est une question d’éthique.


 La profession est en pleine évolution et le journaliste qui avait pour habitude de travailler seul, de ne surtout pas divulguer d’information à ses confrères change de pratique. L’élément déclencheur est bien sûr l’apparition d’internet et des nouvelles opportunités que ce nouveau canal a ouvert. Le vrai pouvoir naît de la force du collectif. C’est ce qu’il s’est passé avec les récentes affaires Luxleaks, Football leaks, mais surtout des Panama Papers, fruit d’une longue collaboration entre plusieurs médias à l’échelle internationale. La course au scoop laisse place au travail d’équipe, les journalistes deviennent alors les défenseurs de l’intérêt général.

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Des journalistes encartés

Qu’ils travaillent pour TF1, BFM ou encore l’Équipe TV, tous sont journalistes et bénéficient (pour la plupart) de la fameuse carte de presse. Ce sésame, qui ouvre les portes des conférences de presse, des enceintes accueillant un évènement politique, sportif ou culturel mais aussi l’opprobre de toute la profession… l’accès à des zones de conflits, est délivré par la Commission de la Carte d’identité des Journalistes Professionnels. Pour l’obtenir, plusieurs conditions sont nécessaires. La principale concerne l’origine des revenus financiers du demandeur, 50 % doivent être issus directement du journalisme. Ce seuil permet, dans la mesure du possible, d’éviter toute autre activité connexe pouvant être source de conflits d’intérêts, comme le média training par exemple, pratique qui consiste à coacher des entreprises ou des personnalités dans leurs relations aux médias. Ce laissez-passer qui vient de fêter ses 80 ans est vue comme le Graal par les jeunes journalistes car aujourd’hui, au vu de la précarisation galopante du secteur, son obtention est de plus en plus compliquée.

Droit d’enquêter, devoir d’informer…

Cette carte de presse n’est pourtant garante ni d’un revenu minimum ni d’un journalisme déontologique et responsable. D’ailleurs, en France, la déontologie journalistique est plutôt ambiguë. Voilà en effet un métier devenu central dans le fonctionnement de la démocratie, sur lequel pèsent de nombreuses exigences morales (véracité de l’information, impartialité, distance critique, absence de collusions…), mais qui a toujours affiché très haut la volonté de s’autoréguler, c’est-à-dire de ne laisser aucune instance ou autorité extérieure (public, justice) mettre le nez dans leurs questions de déontologie professionnelle. Pour autant, il n’existe aucune instance pour réguler la profession, aucun mécanisme interne permettant de sanctionner, ou simplement de débattre, des fautes professionnelles des journalistes. Pourtant les dérapages, les scoops sortis à la hâte ou les informations non vérifiées ont considérablement augmenté, notamment depuis l’arrivée d’internet et l’apparition des chaînes d’info en continu. La profession se contente donc d’une autorégulation en cherchant à exercer ses droits et à respecter ses devoirs. Et des devoirs, il y en a : tout journaliste se doit de vérifier ses informations et de protéger ses sources, surtout s’il s’agit de lanceurs d’alertes. Il ne doit pas nuire gratuitement à une personne, ne pas conserver une information compromettant la sécurité des citoyens, et doit toujours étayer ses dires. Ces conditions remplies, rien ne s’oppose au journaliste qui jouit alors d’une liberté totale d’informer. En revanche, la justice française ne fait pas de cadeau et sanctionne immédiatement les contrevenants. « On ne peut pas mettre en cause les gens et n’avoir aucun compte à rendre », nous confie Jean-Pierre Canet. En cas de faute, des sanctions judiciaires, donc, mais aussi l’opprobre de toute la profession…


Qui a dit qu’il ne fallait pas sortir d’affaires pendant les périodes électorales ? Mais justement, c’est LE moment pour sortir des affaires ! Il faut que les gens sachent qui sont les personnes pour lesquelles ils veulent voter !

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Investigation ou manipulation ?

Ils seraient 300. Journalistes, politiques, industriels, célébrités… qui contrôleraient la France… Théorie du complot ou vrai cercle d’influence ? Tantôt vénérés par l’opinion publique, tantôt détestés, les journalistes sont en permanence sur le fil, en équilibre instable.

Des journalistes qui déjeunent avec des personnalités politiques, des dîners où se côtoient des gens qui ne devraient pas, il y en a, il y en a toujours eu. Ce type de comportements, même s’ils ne concernent qu’une très faible part de la profession, jette le discrédit sur une multitude de journalistes qui font correctement leur travail et respectent le périmètre de leur profession. Et puis, côtoyer les puissants d’un peu trop près, c’est en réalité perdre son pouvoir. Sous prétexte d’avoir accès à des informations qui pourront peut-être créer le buzz, c’est surtout prendre le risque de se faire instrumentaliser.

L’indépendance : le seul vrai pouvoir

Le pouvoir le plus puissant est celui que l’on se crée seul. Mediapart en est l’exemple parfait. Le journal révèle de nombreuses affaires, a toujours des preuves et étaie ses informations. Aucune connivence avec un quelconque parti ou entreprise ne peut lui être reprochée, c’est là-dessus qu’il a bâti sa réputation.


Il y a autant de bons journalistes dans le public que dans le privé, et il serait dommage que le service public devienne la seule possibilité pour sortir des enquêtes qui pourraient être dérangeantes.

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Journaliste ou VRP ?

Pourtant le pouvoir politique n’est plus aujourd’hui le plus dangereux. Le risque majeur pour les médias vient des grandes entreprises. Se faire offrir des téléphones, des produits de beauté, des voyages pour assister à des salons, pour essayer des voitures… Rares sont les journalistes qui vont faire de mauvais articles suite à ces « gestes commerciaux ». À l’instar des placements de produits dans les films, allons-nous vers des journalistes VRP ?


Pour rester indépendant, le journaliste doit accepter d’être très mobile, de changer souvent de rédaction, d’aller là où les sujets qu’il souhaite traiter ne subiront pas de censure. Tout le monde n’a malheureusement pas le choix, et cela conduit à des situations comme ce qui s’est passé à iTélé en 2016.

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Canal+, une chaîne plus très claire

Au-delà de la manipulation, il y a la censure, monnaie courante dans de nombreux médias. Pas facile, voir impossible, de sortir un sujet sur l’huile de palme ou les autolib quand on travaille pour Canal + propriété de Vincent Bolloré. Encore moins sur les affaires judiciaires de Serge Dassault quand on travaille pour le Figaro. Cette censure, Jean-Pierre Canet en a fait l’amère expérience sur la chaîne cryptée. Lorsque son reportage sur le Crédit Mutuel a été interdit de diffusion sur ordre de Vincent Bolloré, Fabrice Arfi, associé de Jean-Pierre Canet sur cette enquête, a dénoncé une censure « chimiquement pure ». En effet, le reportage apportait des preuves irréfutables et vérifiables. C’est finalement le service public, en la personne de Delphine Ernotte qui diffusera ce reportage. Ce dernier bénéficiera, de fait, d’une couverture médiatique inespérée. Cet exemple nous prouve qu’un journaliste s’il veut rester indépendant, doit dépasser l’autocensure et être prêt à une grande mobilité professionnelle pour défendre ses enquêtes.

Les cordons de la bourse

Cette histoire de censure est loin d’être unique et soulève la question de l’appartenance des médias. La majorité des médias français sont détenus par Bouygues, Bolloré, Pinault, Niel ou encore Dassault pour ne citer qu’eux. Aux États-Unis, ce type de rapprochements est très encadré. Là-bas, la participation au capital est plafonnée si l’entreprise n’a pas de lien originel avec le monde médiatique. Le service public serait-il donc le seul à pouvoir offrir une totale liberté de ton ? Selon Jean-Pierre Canet, la censure est une réalité et il faut composer avec. Il suffit de trouver le bon média pour le bon sujet.

INFO +

L’infotainment

Démocratisé par l’émission de Yann Barthès Le Petit Journal , devenu depuis Quotidien, ce nouveau genre (informer en s’amusant) est aussi critiqué qu’il est drôle. Dans ces formats, la langue de bois, les esquives, les jeux de communications des personnalités publiques sont passés au crible. Une manière de montrer à l’auditoire les ficelles employées par les puissants pour raconter ce qui s’apparente souvent à des absurdités, voire des mensonges. Cash Investigation emprunte des codes de l’infotainment même si ce sont des formats très différents. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, pour se permettre de faire de l’humour avec des sujets sérieux, il faut être deux fois plus sûrs des informations que l’on présente. Et si le ton est parfois léger, il permet également à celui qui reçoit l’information de l’analyser différemment. Rien que pour cela, le pari est gagné.

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