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le 26 mars 2020

Nous sommes tous des immigrés

Dans le cadre de son cycle de réflexion « La France au passé composé, histoires de migrations », Imaginela vous a proposé deux séances de cinéma pour vous faire découvrir ou redécouvrir le documentaire « Histoires d’une nation ». Ce cycle a été conclue par une conférence sur les mouvements migratoires en Loire-Atlantique et leurs conséquences pour le territoire. c’est sur cette conférence, présentée par Alain Croix, historien nantais, que s’appuie l’article ci-dessous, bonne lecture !

 Marie et Guillaume

Ils s’appellent Marie et Guillaume, ils sont originaires d’un petit village et luttent au quotidien contre la pauvreté. Un jour, ils décident de fuir la misère et partent tenter l’aventure ailleurs, là où il y a du travail et à l’horizon, une vie meilleure.

En arrivant à destination, ils déchantent rapidement. L’eldorado annoncé est une chimère. Pas de travail, pas de logement… et un accueil plutôt froid des « locaux » qui les rejettent. Ils seront rapidement expulsés, direction leur village d’origine.
Cette histoire se passe en 1631 en Loire-Atlantique, Marie et Guillaume sont chassés de la ville de Nantes et priés de retourner dans leur campagne de La Chapelle-sur-Erdre.
Cette anecdote permet à elle-seule de se rendre compte que nous sommes tous des descendants de migrants, nous sommes tous immigrés, quelle que soit la distance parcourue.
Cette histoire montre aussi que le rejet de l’étranger n’est pas un phénomène « à la mode », il a toujours existé. Pour autant, tous les immigrés ne sont pas logés à la même enseigne et certaines catégories de populations sont aujourd’hui beaucoup plus stigmatisées que d’autres.

Cette stigmatisation est renforcée par la peur. Cette peur de l’étranger, cette peur de ce qu’on ne connaît pas. Cette peur parfois tout aussi instinctive qu’irrationnelle et qui empêche de faire un pas vers l’autre. Cette peur souvent entretenue par certains partis politiques qui travestissent la vérité. Or, selon Alain Croix, la peur n’a pas sa place et la réalité est loin d’être aussi manichéenne que ce que certain.e.s voudraient bien faire croire.

 


Quand on pense immigration aujourd’hui, on pense rapidement « migrants », c’est à dire des populations pour la plupart venue d’Afrique ou du proche Orient. Et l’immigration blanche ? Elle existe bien, un étudiant américain qui vient faire ses études en France est un immigré au même titre qu’un somalien demandeur d’asile.

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Aux origines de la peur

Pour comprendre les mécanismes qui engendrent cette peur de l’étranger, il faut remonter un peu le temps.
A partir de 1889, le droit du sol est instauré sur le territoire national. Désormais, tout enfant qui naît en France est français. Loin d’être un cadeau fait aux étrangers, cette législation a surtout pour objectif de les contrôler puisqu’ils seront dès lors systématiquement immatriculés.
En 1912 le gouvernement français instaure le carnet anthropométrique, ce carnet réservé aux nomades uniquement était également un moyen de contrôler ces populations qui comme leur nom l’indique, se déplacent en permanence et sont difficiles à « surveiller ».
En 1917, c’est la naissance de la carte d’identité, mais pas celle que nous connaissons aujourd’hui. C’est une nouvelle fois une carte qui est destinée uniquement aux étrangers. Ce document d’identité devient obligatoire pour tous sous le régime de Vichy en 1940.

Vous l’aurez compris, depuis les balbutiements des titres d’identité, la volonté est surtout de « faire le tri » entre les étrangers et les français.


Depuis plus de 43 ans, la part de population étrangère est passée au niveau national de 6,7 à 7,2 %, soit une augmentation extrêmement faible. Et pourtant l’immigration est toujours brandie comme le mal de tous les maux de notre société. Ensuite, ne regarder que les entrées de population n’a pas de sens. Car il y a les entrées d’immigrés, mais aussi les sorties. En 2015, quand on compare ces deux données, la population nationale a augmenté de 41000 personnes.

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La Loire-Atlantique, un cas particulier

La France et la Loire-Atlantique sont des cas uniques en termes de migrations. L’hexagone est la seule terre d’immigration massive, avec peu d’émigrés. Entre les deux guerres, il entre plus d’immigrés en France qu’aux États Unis.

Plus localement, le modèle nantais, que l’on peut suivre depuis des siècles, est lui aussi atypique. Depuis 600 ans en Loire-Atlantique, il n’y a eu aucune vague d’immigration à proprement parler. Il s’agit d’une immigration continue. Nantes accueille des immigrés depuis plus de 300 ans, il y a eu des acadiens, des vendéens, des bretons, mais aussi au cours du 20e siècle des espagnols (1930) et des portugais (1970).

La France et La Loire-Atlantique ont eu à certaines périodes, un gros besoin de main d’œuvre extérieure. C’est d’ailleurs le cas en ce moment-même sur les chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, où travaillent plus de 11 000 travailleurs détachés (employé travaillant dans un État membre de l’UE qui part travailler dans un autre État membre).


Les immigrés c’est un terme qui est en train de disparaître. Migrants c’est un terme inventé par les médias qui est un terme péjoratif. Il renvoie à la guerre et à la pauvreté. Cela fait oublier que la migration est rarement un choix.

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Nantes, terre d’accueil, enfin ça dépend pour qui…

Autant aller droit au but, pour être bien accueilli, il vaut mieux être riche catholique, francophone et blanc.
En effet, pour commencer, le niveau d’aisance est un critère déterminant d’accueil. C’est vrai pour Nantes mais c’est vrai partout ailleurs également. De l’arrivée des irlandais à Nantes, l’histoire ne se souvient que des bourgeois, alors qu’il y avait tout autant d’hommes, de femmes et d’enfants dans la misère la plus totale et qui ont quant à eux subi un fort rejet. Un autre peuple à avoir subi ce rejet de la pauvreté c’est sans aucun doute les bretons. A leur arrivée à Nantes, ils étaient pour la plupart très pauvres et ne parlaient pas français. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’accueil n’a pas été des plus chaleureux comme le montre cet extrait du Manifeste contre l’immigration bretonne, signé d’Auguste Cherot, alors élu à la ville de Nantes.

« Nous avons la conviction qu’il est possible, avec une ferme volonté et beaucoup de persévérance, de faire pénétrer les améliorations nécessaires dans les classes malheureuses de notre cité ; mais, nous devons le reconnaître, nos espérances se décourageraient, si les quartiers misérables, dont nous poursuivons l’assainissement, devaient être régulièrement infectés, le mot n’est pas trop fort, par ces invasions de mendiants qui nous viennent des campagnes de la Bretagne. Ces populations, étrangères à notre département, chez lesquelles la malpropreté la plus repoussante est une seconde nature, et dont la dégradation morale est descendue à un niveau effrayant, viennent périodiquement encombrer nos quartiers les plus pauvres et les plus insalubres. »


Certains gouvernements ont bien compris ce que coûte un enfant jusqu’à son entrée dans la vie active, et donc ce qu’il rapporte au pays hôte : 200 000€. L’Allemagne, en faisant rentrer un million d’immigrés sur son sol, fait rentrer 200 milliards d’euros !

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Malgré ce rejet persistant, les bretons ont été bien utiles au territoire car ce sont eux, avec les vendéens, qui ont creusé le port de Saint-Nazaire.

Après le niveau d’aisance vient le critère religieux et la couleur de la peau. Par exemple, les protestants néerlandais sont rejetés à leur arrivée à Nantes alors que les prisonniers de guerre espagnols sont quant à eux bien traités. Les populations d’obédience catholique sont bien mieux reçues que les autres, les protestants ou les orthodoxes comme nous venons de le voir mais aussi et surtout les populations juives.

En 1869, une pétition circule contre la construction d’une synagogue ; plus tard, les nantais défilent en criant mort aux juifs. Au 21e siècle, le racisme se cristallise sur les peaux de couleur : « noire » ou au teint « basané ». Le racisme est d’ailleurs un concept inventé par les élites nantaises au 18e siècle quand elles ont commencé à interdire les mariages mixtes.

La différence, cette angoissante richesse

L’apport des étrangers est une fausse question : qu’il s’agisse du sport comme le foot, des inventions comme le tramway par Mékarski, la baguette de pain par les italiens (eh oui, c’est italien !) et il y aurait des milliers d’autres exemples. Tous ont apporté, individuellement ou collectivemen, car on oublie souvent les collectifs comme les polonais qui ont travaillé et travaillent toujours sur les paquebots ou les maghrébins, portugais ou turques qui sont à pied d’œuvre dans le secteur du bâtiment.

impossible à quantifier au risque d’être discriminatoire, chaque immigré arrivé sur le sol Français ou Nantais a pourtant apporté sa pierre à l’édifice.

Se frotter à la différence ce n’est pas toujours facile, c’est un apprentissage qui dure toute la vie mais qui vaut le coup car comme le dit si bien Michelle Jean (canadienne d’origine haïtienne, Gouverneure générale du Canada (2005-2010) et Secrétaire générale de la Francophonie (2014-2018) : « La mobilité c’est l’oxygène des sociétés ».

 

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