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le 3 septembre 2018

Liberté, égalité, parité : de la quête de l’identité à la quête de l’égalité

L’égalité des chances c’est le rêve républicain. Rêve qui, au fil des ans, tend plutôt vers l’utopie. Selon l’adresse, le sexe ou l’origine des parents, il ne faudra pas fournir les mêmes efforts pour vivre la vie que l’on souhaite. Pour certains, ou plutôt certaines, c’est presque perdu d’avance. Les jeunes femmes «issues de l’immigration», comme la France de 2017 persiste à les nommer, grandissant dans des cités sensibles n’auront jamais les mêmes chances que les petits gaulois des beaux quartiers. Comment peut-on en être resté là, au statu quo, trois générations plus tard ?

Femme de cités : un destin bétonné ?

Juin 1969, Toulouse, quartier flambant neuf des Izards. Sur le terreplain, fusent les cris des footballeurs en herbe qui entament leur énième partie. Dans une petite maison de la rue Raphaël, Yamina1 s’affaire en cuisine. Elle roule la semoule et la passe ensuite au tamis. Des gestes parfaitement maîtrisés, maintes et maintes fois répétés. Yamina est arrivée à Toulouse au début des années 60. Son mari est venu subvenir au puissant besoin de maind’œuvre dans l’hexagone, et il est fier de dire qu’aujourd’hui, il la construit, la France. Son travail à elle est moins visible, voire invisible. Nourrir sa famille, habiller, laver et surtout éduquer ses enfants, c’est sa mission.

Du Caftan au carcan

Pas vraiment Française, plus vraiment Algérienne, Yamina n’est chez elle ni ici ni ailleurs. Son existence est conditionnée par son statut de mère, faisant fi de ses envies et de ses rêves. Pourtant des rêves et des ambitions, elle en à revendre. Et c’est Magyd, l’un de ses sept enfants, qu’elle choisit. Il est l’élu, celui qui doit lui rendre sa féminité, sa dignité. Il faut que son fils ait le bac. Un point c’est tout. Entendrait-elle la gronde féministe dont la rumeur, au début des années 70, ne cesse d’enfler ? Sans doute pas. Son envie d’être une femme libre et non asservie, c’est quelque chose qu’elle porte en elle. Si elle avait pu, elle aurait sans doute divorcé, passé le permis et fait mille autres choses. Mais l’écho de la montagne kabyle, comme le dit Magyd Cherfi, a eu raison de ses envies. Alors, à défaut de faire la révolution avec les féministes dans la rue, elle la fait sous son toit, chaque jour qui passe.


Dans la famille Cherfi, le schéma traditionnel est resté de l’autre côté de la Méditerannée : l’égalité garçonfille, n’est pas envisageable.

Quotation

Cette éducation singulière vaudra souvent à Magyd d’être la risée de ses camarades d’infortune. Car, quand il ne faisait pas la vaisselle, Magyd Cherfi faisait ses devoirs pour devenir «médecin ou ingénieur3 », quitte à devoir rester «attaché comme une chèvre à son piquet». Docile envers sa mère, docile envers l’école : la parfaite équation pour devenir le souffre-douleur de la cité. En effet, aux Izards, comme dans de nombreux autres quartiers, la docilité, c’est la féminité, et la féminité c’est l’infériorité. Les mâles se doivent d’être virils, sexuels, et en aucun cas sentimentaux. Les sentiments, c’est pour les «PD». Pourtant Magyd, à l’image  de sa mère, est un battant, et les coups, il n’en a que faire. Oui, il aime lire, oui, il écrit des poèmes, et oui, il accepte sa part même de féminité. C’est cette part de féminité qui va le pousser vers ces filles dont il se sent si proche. Ateliers d’écriture, de chant ou de danse, sous couvert de soutien scolaire ; Magyd Cherfi veut faire de l’émancipation des filles son cheval de bataille. Ce qu’il se passe sous son toit est exceptionnel, il en a conscience. Dans les autres familles, les schémas patriarcaux sont tenaces : les garçons sont élevés «comme des garçons» et les filles sont élevées «comme des filles». Et on peut dire qu’avec leur statut, elles ont gagné le gros lot : cuisine et ménage sont leurs principales prérogatives, de quoi en faire rêver plus d’une.


Au théâtre, mes copains improvisaient aussi bien les jeunes filles éplorées qu’on marie au bled, que leurs frères décérébrés qui leur interdisaient de se maquiller, de parler à des inconnus, de s’habiller court et même de rire. ”Ne ris pas connasse, on dirait une pute, allez rentre !“

Quotation

La vie en gris

L’éducation qui leur est donnée semble figée. Dans l’attente d’un improbable retour au pseudo bled, les mères et les pères reconstituent l’organisation sociale du pays maternel, non pas tel qu’il a évolué, mais tel qu’il est gravé dans leur mémoire. D’un autre temps, donc. Et pourtant ces jeunes filles, à l’instar de celles de leur génération, ont des rêves plein la tête. Elles écrivent, dansent, chantent, lisent… Elles se rêvent en Mme Henriette, héroïne du roman 24h dans la vie d’une femme de Stefan Zweig, cette femme, Mme Henriette, qui plaque tout pour vivre un amour fou le temps d’une journée. Mais la réalité est dure, beaucoup plus dure pour ces jeunes femmes que pour Mme Henriette. Et c’est souvent à l’adolescence, à force de prendre des coups à chaque livre ouvert ou à chaque éclat de rire, qu’elles «rentrent dans le rang» de l’asservissement.

Naître fille, le défi d’une vie

Deux générations plus tard, où en sommes-nous ? Y a-t-il une différence entre les Zora, Fatima et Malika des années 60 et celles d’aujourd’hui ? Entre volonté d’émancipation, pression sociale et oppression familiale, les choix des femmes, quand ils existent, impliquent encore beaucoup de douloureux renoncements. En quarante ans, la condition des femmes dans les quartiers a globalement peu évolué. Dans certains cas, c’est même pire qu’avant. Les filles sont aujourd’hui catégorisées : les «respectables», et les «putes». Et dans les cités, l’adage dit que s’il faut cinq minutes pour se faire une réputation, il faut dix ans pour la défaire.

Big Brother

Dans de nombreux foyers, les filles sont encore assujetties aux tâches ingrates, encore surveillées par leurs frères, leurs cousins ou même leurs oncles. Pourtant, on pourrait se dire que le féminisme est passé par là, des femmes ont brûlé leurs soutifs bon sang ! Eh bien, dans les quartiers il n’y a sans doute eu aucun soutif brûlé. Cette révolution du sexe dit «faible» a plutôt eu tendance a resserrer l’étau autour du cou des jeunes femmes. D’ici qu’elles aient des envies de faire un feu de joie avec leurs petites culottes… Donc les demoiselles sont en fait encore plus surveillées. Leur corps ne leur appartient plus car elles sont plus que jamais les garantes de «l’honneur de la famille». Et gare à celle qui ne serait pas «pure» le jour de son mariage… Dans leur grande mansuétude, et pour leur éviter toute tentation, les hommes de la famille les laissent donc peu gambader en liberté. Ils surveillent de près leurs fréquentations, quitte à leur donner une bonne paire de claques pour les remettre dans le droit chemin s’il le faut. Pour cela, remercions-les. Pourtant, toutes ces jeunes filles ne vivent pas recluses, elles fréquentent l’école, regardent la télévision, elles peuvent aisément observer le décalage entre leur mode de vie et celui des autres adolescentes de leur âge. Elles sont donc amenées à s’interroger beaucoup plus. Pourquoi ne pourraient-elles pas lire ? Pourquoi n’auraient-elles pas le droit rire, de danser, de chanter ? Médecin ou ingénieures, elles ? Et pourquoi pas ? Sauf que s’émanciper quand on s’appelle Fatima et qu’on habite aux Izards à Toulouse, aux Oliviers à Marseille ou à la cité des 4 000 à la Courneuve, c’est faire une croix sur sa famille sans billet retour. Terrible dilemme qui démultiplie les douleurs. Pour Magyd Cherfi, être une fille arabe dans un quartier, c’est avoir un destin tout tracé. C’est la double peine. Pour les quelques chanceuses qui vaincront la violence de la cité et pourront jouir d’une liberté à l’extérieur, le deuxième combat, du sexisme ordinaire commencera alors.


Nous ne connaîtrons la fraternité qu’au prix de l’égalité et de la parité.

Quotation

C’est une fille ? Mes codoléances…

Chromosome X ou Y ? À la base, ça se joue à peu de choses. Et au final, l’addition est plutôt salée. Tu es née fille ? Ça veut dire que tu ne pars pas avec les mêmes chances que ton voisin Y, le garçon. Naître fille, c’est galérer. Galérer pour accéder aux grandes écoles, galérer pour obtenir le même salaire que ton voisin Y, galérer pour avoir un temps plein, etc. Au-delà des galères, il y a aussi les exigences de la société, qui attend beaucoup des femmes. Il faut être unique, mais entrer dans une case, être sexy mais pas vulgaire. Ne pas se soumettre mais ne pas castrer, être mature mais toujours jeune. Être mince mais avec des seins, avoir un bon poste mais ne pas faire d’ombre, travailler mais élever ses enfants, être au fourneau et au régime…

Stop. X est fatiguée

Fatiguée de ces attentes sociétales insoutenables, mais aussi fatiguée de se faire harceler dans la rue, au travail, fatiguée de se prendre des baffes par Y quand il a bu, fatiguée de se faire agresser physiquement ou verbalement… Et encore, on ne parle pas de la situation internationale : avortements sélectifs, mutilations sexuelles, non-scolarisation, mariages forcés, discriminations, violences conjugales… n’en jetez plus me direz-vous. Alors oui, la société progresse. Si de plus en plus de femmes prennent conscience de la nécessité de faire évoluer leur condition, de plus en plus d’hommes prennent également leur part dans le combat. À l’image de Magyd Cherfi, ce féministe assumé, pour qui le combat contre le racisme et celui contre le sexisme prennent racine dans les droits de l’Homme.

INFO +

Sexisme à peine voilé

« Après avoir longtemps été considérée comme un voile sur pattes, une “fille d’immigrés” et une “jeune des quartiers”, on a enfin fini par comprendre que j’étais une femme le jour où j’ai retiré mon hijab. Auparavant on me renvoyait sans cesse à ma condition de femme voilée, d’origine immigrée et issue d’un milieu populaire. C’était comme ça depuis l’adolescence et ça a continué de l’être bien au-delà. Avoir pris de l’âge, ne plus vivre dans une cité, avoir fait des études supérieures, être devenue entrepreneure, tout ça n’y changeait rien : je restais avant tout une voilée, à savoir une personne issue d’un ailleurs pas très évolué. Puis, pour des raisons qui sont les miennes, j’ai cessé de porter le voile. A partir de ce jour, mes “tares” ont été hiérarchisées de manière complètement différente, laissant place à une discrimination plus insidieuse, et surtout, à plus de sexisme. J’ai sûrement dû en être victime auparavant mais il a toujours été noyé dans le racisme ou le mépris de classe. J’ai compris que je resterai toujours quelque chose “d’autre” pour certaines personnes : une (ex)voilée, une banlieusarde, une étrangère, une femme… » Mariame Tighanimine, Cofondatrice de Babelbusiness.com

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