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le 15 octobre 2019

En chemin avec Axel KAHN

La campagne, Axel Kahn la connaît bien, il l’a littéralement traversée de part en part au cours de 2 marches en 2013 et 2015. De ces traversées, l’ancien généticien en garde de formidables souvenirs, mais aussi l’envie de rétablir certaines vérités.

La ruralité est vue par de nombreux citoyens et journalistes comme un endroit qui termine une longue agonie. Pour Axel Kahn, c’est un non-sens. Des friches industrielles du Nord au dynamisme économique des Mauges, Axel Kahn en a vu, des gens et des paysages. Impossible pour lui de parler de « la ruralité » et des « ruraux », tant les espaces et les populations sont différents d’un endroit à un autre.

Les villes à la campagne : le berceau des Gilets Jaunes

Au cours de sa première marche, AK a traversé le nord de la France, la vallée de la Loire, la Corrèze… Il a traversé bon nombre de territoires complètement sinistrés, allant de friches industrielles en friches industrielles. Ce même territoire présentés par les médias comme le berceau des Gilet Jaunes.  Mais est-ce vraiment ça, la ruralité ? Pour AK, ces villes post-industrielles sont avant tout des villes à la campagne, pas la campagne. Des villes faussement rurales complètement dépendantes d’une industrie qui périclite jour après jour et dont les populations n’ont que peu d’espoir sur l’amélioration de leurs conditions de vie.


Aujourd’hui à Les-Deux-Villes dans les Ardennes, une ville qui a eu son heure de gloire dans la métallurgie, le textile et les carrières, 50 à 70% des habitants sont aux minima sociaux et 20% de la population active est au chômage de catégorie A

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Ce manque de perspective entraîne un désinvestissement et un repli sur soi. Cela a des conséquences sociales, avec une baisse du niveau de syndicalisation mais aussi politiques avec une forte propension à voter pour l’extrême droite.

Ces habitants sont lucides sur leur sort, ils savent qu’ils ne sont pas assez compétitifs sur le marché mondial. La notion de destruction créatrice apparue pendant la guerre, ne vaut plus dans une économie mondialisée. Quand elle est destructrice à un endroit elle est créatrice à un autre mais jamais au même endroit.  Ces territoires sont-ils pour autant condamnés ?

D’après Axel Kahn pas du tout, mais il faut un vrai volontarisme des élus.

Trop souvent, ils accompagnent les révoltes, sont en première ligne dans les manifestations contre les fermetures d’usines mais qu’ont-ils vraiment fait pour leur territoire, à part attendre que toutes les usines ferment pour battre le pavé ? Le déclin de l’industrie ne date pourtant pas d’hier et certain.e.s élu.e.s l’ont beaucoup mieux compris que d’autres.

Dans la région de Pau par exemple, la ressource naturelle a longtemps été la poche métallière qui est aujourd’hui totalement asséchée. Depuis très longtemps la transition vers une nouvelle économie a été prise par les pouvoirs publics avec l’implantation de nouvelles entreprises. Cela fonctionne très bien, c’est aujourd’hui une région très dynamique économiquement.

D’autres défis pour la « vraie » ruralité 

Si les villes post-industrielles s’enlisent dans la déprime, tout n’est pas rose non plus dans les campagnes agricoles.


Dans les années 1930, il y avait encore près de 5 millions d’exploitations agricoles. Aujourd’hui il y en a 500 000. 10 fois moins. Quand on regarde la taille de la majorité des exploitations c’était aux alentours de 9- 10 ha, aujourd’hui la taille moyenne d’une exploitation est de 90 ha et beaucoup plus pour les exploitations céréalières.

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Les villages français se sont vidés peu à peu de la majorité de leurs forces vives, c’est-à-dire les agriculteurs. Avec la mécanisation, il ne faut pas plus de personnes pour travailler sur 50 ha qu’il n’en fallait à l’époque pour travailler sur 10 ha. Globalement la population agricole a été divisée par 10.

Alors quand 80 % de la population agricole du village disparaît cela a des conséquences. Ces conséquences s’ajoutent à la désertification des services publics. Pour neuf fois moins d’habitants faut-il encore garder un bureau de poste ? Faut-il une pharmacie ? Faut-il un médecin ?

Cette désertification n’est pas le seul problème, selon AK, il y a aujourd’hui une perte du sens que l’on donne aux communes. La commune c’est par définition l’ensemble des habitats humains qui avait les communs. Ces communs pouvaient être des champs, l’irrigation etc.  Puis, au tournant du XVIIIe siècle, avec le développement du libéralisme, les communs ont progressivement disparu. Chacun a son champ, avec clôtures et barbelés.  Aujourd’hui certains maires ont compris qu’il fallait de nouveaux lieux pour se croiser et inventent des espaces pour échanger (coopératives d’agriculteurs, tiers lieux…) Malheureusement certains n’ont pas les bons réflexes, notamment ceux qui installent des lotissements, retirant ainsi toute signification de commun à la commune et introduisant en plus une rivalité avec les espaces agricoles. Loin d’être une solution pour le vivre-ensemble, il s’agit, ni plus ni moins d’une extension de l’urbanisation.

La recette du succès : l’attachement…

Alors comment faire ? Existe-t-il une recette miracle pour ces territoires en difficulté ? Lorsqu’il est arrivé dans le sud-ouest, le délabrement économique était moindre, le délabrement social également. Notamment le Pays basque. Pourtant cette région a connu une énorme diaspora, presque la famine et peu auraient parié sur son développement économique au siècle dernier.

Pourtant, actuellement c’est un territoire remarquable sur le plan économique et social avec des petites et moyennes entreprises. Comment expliquer cela ? Comment expliquer que le Nord soit toujours empêtré avec ses fermetures d’usines et que le Sud-Ouest tire si bien son épingle du jeu ? Axel Khan a formulé une hypothèse, celle de l’attachement au territoire, de la fierté d’un peuple.

Notre généticien marcheur a cherché à valider sa théorie au cours de sa deuxième marche
Par exemple celui des Mauges, qui connaît un taux de chômage de 5 %, l’un des plus bas de France.
Or, les Mauges est une région qui n’a économiquement rien pour elle. Il n’y a pas de minerais et plusieurs tentatives de diversification économique ont été tentées comme la culture du lin et le travail du cuir qui n’ont rien donné. Et pourtant ils n’ont pas lâché.  Ce  peuple rebelle (depuis l’époque de la grande armée catholique) est uni et particulièrement attaché à son territoire.  Cette unicité donne lieu aujourd’hui à un dynamisme extraordinaire.
Axel Kahn a également observé ce dynamisme en Bretagne, il le nomme même le miracle breton.  Malgré les difficultés, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire, le chômage y est inférieur au reste de la France. Cette région fait partie des plus peuplées de France, bien qu’ayant connu également une forte diaspora, en proportion, beaucoup de Bretons sont restés ou reviennent « au pays ».
Pour quelles raisons l’attachement est-il tellement important dans ces territoires et pourquoi donne-t-il de tels résultats d’un point de vue économique ? Pour Axel Kahn c’est tout à fait évident. Face à la possibilité d’une crise, chacun essaye de toutes ses forces de s’en tirer. Dans les territoires qui s’en sortent comme la Bretagne, il y a en plus un attachement collectif à la région. L’énergie est dépensée pour s’en sortir soi-même mais aussi pour faire en sorte de s’en sortir collectivement.

… Et l’innovation

L’attachement et la fierté sont donc un préalable à la réussite économique mais pas seulement. Si vous pensez qu’à la campagne il ne se passe rien, il est temps de revoir votre copie. Proportionnellement, il se passe beaucoup plus de choses qu’en ville. La ruralité profonde est un laboratoire d’innovation absolument incroyable. Rares sont les villages, même les plus en difficulté où il n’y a pas de projets pour dynamiser la commune. Mais pour que cela marche, il faut mobiliser la population.

Au cours de l’année 2014, AK a posé ses valises quelques jours à Lardier-et-Valença, un village dans les Hautes-Alpes à une quinzaine de kilomètres de Gap, dans la moyenne montagne. Dans le bourg il y a quelques années, il y avait 50 ou 60 personnes, plus de magasin, subsistaient encore l’église, la mairie et l’école au sein de laquelle il ne restait que neuf enfants. Neuf, c’était trop peu pour le rectorat qui avait pris la décision de fermer l’école.

Le maire de Lardier-et-Valença, a alors pris son tracteur et forcé l’entrée de la préfecture des Hautes-Alpes. Il s’est enchaîné aux grilles et a annoncé qu’il resterait là tant qu’un accord n’aurait pas été trouvé avec le rectorat. Il a demandé la médiation du préfet et a annoncé par ailleurs qu’il faisait une grêve administrative. Le bras de fer a duré environ une semaine.

Lardier-et-Valença a une école aujourd’hui et cette école a permis de sauver le village. Tous les habitants se sont mobilisés pour récolter des fonds. Ils ont créé une fête littéraire : “A livres perchés” et ont ouvert une médiathèque. Dans l’association qui gère le festival littéraire, il y a une centaine de bénévoles. La plupart d’entre eux ne sont pas des intellectuels et certains pourraient considérer que ce festival ne leur est pas destiné. Pourtant, il n’en est rien, tous les habitants participent et ce festival est un succès chaque année. La population en est extrêmement fière. Cela entretient l’attachement au territoire.  Lardier-et-Valença compte aujourd’hui 350 habitants et une quarantaine d’élèves à l’école qui n’est plus du tout menacée.

Ces exemples démontrent l’importance de l’attachement d’un peuple à son territoire. La fierté serait donc un gage de succès. « Et la fierté doit venir des élu.e.s ! » comme le dit si bien Axel Kahn

 

int(2227)

12 avril 2019

La campagne : à mi-chemin

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