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le 27 août 2018

De la nécessaire ambition de notre sécurité alimentaire

Chaque jour, des femmes et des hommes cultivent la terre pour nous nourrir. Mais à quel prix ? Les spéculations sur les terres agricoles et les récoltes vont bon train. Ce diktat financier ajoute aux incertitudes du climat et de la mondialisation des contraintes aléatoires plus intenses. Trouver un juste milieu entre productivité optimisée et maintien de l’équilibre naturel n’est pas chose aisée. Il arrive même que les engrenages de ce système se grippent. Cela tourne parfois au désastre, comme en 2008, lors des émeutes de la faim en Afrique. Serait-ce là mission impossible que de nourrir sainement plus de douze milliards d’habitants d’ici à 2050 ? Allons-nous manquer de terres, d’eau, de paysans ? En février dernier, pour cette 3e conférence du cycle « Une terre pour nourrir le monde », Marion Guillou, spécialiste mondiale de sécurité alimentaire, a dressé un portrait des forces à l’œuvre sur le sujet.

Sécurité alimentaire : kezako ?

« Garantir à tout moment, à tous les êtres humains une alimentation suffisante, saine et nutritive permettant à tout un chacun de satisfaire ses besoins énergétiques et ses préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. » Voilà l’ambition affichée par le Sommet mondiale de l’alimentation depuis 1996. Plus complexe qu’auparavant, cette définition sort la sécurité alimentaire du carcan « offre et demande » dans lequel elle était mécaniquement cantonnée. Quatre piliers la sous-tendent : la quantité, la qualité sanitaire et nutritionnelle, l’accès physique et économique, et enfin la régularité de cet accès. Le monde semble être en mesure de proTendances duire aujourd’hui suffisamment de nourriture pour alimenter neuf milliards de personnes. Pourtant, le spectre de la faim continue de rôder, les constats alarmants se multiplient. Pourquoi 800 millions de personnes sont-elles sousalimentées et quasiment autant souffrent-elles d’obésité ? Comment se fait-il que notre espérance de vie en bonne santé diminue ? Le boom démographique mondial en cours risque donc de nous conduire tout droit au choc alimentaire. Oui. Et nous pourrions collectivement l’éviter en anticipant et en modifiant nos pratiques aux différentes étapes de la chaîne alimentaire. Découvrez les principales clés de lecture de notre avenir et quelques solutions.


Quoi ma gueule ? Rien qu’en Loire-Atlantique, le tonnage de perte à la production atteint 10 tonnes par semaine. L’association Re-bon collecte depuis 2012 les fruits et légumes moches (hors standards) et redistribue ces stocks en aide alimentaire. Viennent en complément sur la chaîne « les Gueules Cassées », qui fleurissent dans nos épiceries depuis 2014. Plus de 12 millions de produits ont ainsi été étiquetés avec la petite pomme édentée « Bons à consommer, pas à jeter ». 5 000 points de vente ont déjà adhéré à cette première marque mondiale anti-gaspi en France et d’autres pays souhaitent s’y mettre.

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Finance : 1 Environnement : 0

Notre système agricole, et donc notre sécurité alimentaire, repose actuellement sur une forte dépendance aux énergies fossiles et provoque des atteintes importantes à notre environnement. Plusieurs cartes sont à redistribuer pour remettre à flot un paquebot qui sombre. Réduire les pertes aux différentes étapes de notre chaîne alimentaire est la cible no 1. Protection de l’environnement, changements climatiques ou encore volatilité des prix entrent également en ligne de compte et renforcent l’impact direct sur nos méthodes de production. l

Finis ton assiette !

Qui n’a jamais prononcé cette phrase pour éviter du gaspillage ? Sachez qu’elle ne fait pas l’unanimité chez les pédiatres. Elle semble avoir conduit au fil du temps, et des portions grandissantes, à une hausse de l’obésité chez les enfants (voir aussi notre Tendances 35). Ce constat de prévalence d’obésité grandissante vaut pour tous les âges et peu importe l’hémisphère. En 2015, 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids et 600 millions de personnes obèses. Si la surconsommation est une des causes avérées, la mauvaise nutrition l’est aussi. Avec la mondialisation, les régimes alimentaires et les prix sèment  la zizanie dans les assiettes sur tous les continents. La demande alimentaire animale est ainsi revue à la hausse, induisant une demande plus forte en production végétale pour nourrir le bétail. Abordons aussi le gaspillage. Selon la FAO , nous perdons 30 % des denrées alimentaires entre la fourche et notre fourchette. La réduction de ces pertes et gaspillages2 est l’une des principales clés pour éviter le choc alimentaire mondial. Sans attendre de nouvelles réglementations, plusieurs initiatives citoyennes ont vu le jour pour remettre un peu de bon sens dans nos assiettes de citoyens du monde (cf. Citation ci-dessus ?).


Des technologies au cœur des exploitations, ça peut paraître étonnant. Mais, exemple parmi d’autres, l’entreprise Fruition Sciences a permis d’économiser entre 20 % et 100 % d’eau en exploitant astucieusement des données de la terre et du climat sur des exploitations agricoles

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Tu manges 3 000 litres d’eau par jour

Du gaspillage, il y en a aussi pour notre eau. Nous buvons 3 litres d’eau par jour et en mangeons 3 000 ! Réputée indestructible, abondante, elle est aussi inégalement répartie sur le globe. La consommation mondiale d’eau agricole a été multipliée par 6 entre 1900 et 1975. Réchauffement climatique oblige, les productions seront dépendantes d’une irrigation mieux gérée. Au-delà de la quantité, sa qualité est précieuse pour notre santé. Les pollutions agricoles (engrais et pesticides) sont une réalité. Alertes et mesures visant à les réduire ne semblent cependant pas suffire. Nos marges de progrès et de manœuvre sont importantes. Saisissons-les ! L’eau est loin d’être la seule ressource naturelle à protéger. La santé de nos sols et la biodiversité sont des facteurs de résilience que nous découvrons peu à peu. Certains voient dans les sols la ressource la plus précieuse pour garantir notre sécurité alimentaire. Or nous en perdons plus que nous n’en renouvelons et, selon la FAO, 24 % des sols sont reconnus dans un état de dégradation extrême. Cela se chiffre désormais en pertes économiques pour l’agriculture : impossible de cultiver sur une terre malade. Quant à la biodiversité, sans s’étendre sur le sujet, la vitesse de disparition des espèces augmente tandis que des espèces nuisibles envahissent certaines zones du globe et modifient l’équilibre de l’écosystème en place. Là encore, des adaptations de nos pratiques agricoles sont possibles pour mieux nous protéger sur le long terme.

Un, deux, trois… Soleil

L’impact des changements climatiques se fait déjà ressentir sur les rendements de cultures. Des déplacements de zones de production, telles que nos vignes, nos céréales ou nos forêts sont à envisager sérieusement. Avec le réchauffement, la production mondiale devrait augmenter jusqu’à 6 % dans certaines zones tout en anéantissant le potentiel d’autres parties du globe déjà fragiles. Mais l’agriculture ne fait pas que subir les changements climatiques. Elle peut aussi participer à les freiner. L’utilisation de carbone renouvelable, d’origine biologique, plutôt que du carbone fossile, apparaît comme une alternative intéressante tout en suscitant de vifs débats. L’agriculture augmenterait sa part de services écologiques rendus dans l’intérêt général, mais la biomasse agricole affectée à la production d’énergie pose la question du possible détournement de notre production agricole à des fins autres qu’alimentaires.

Refais tes stocks d’abord

Quand les prix font la pluie et le beau temps, et non plus les saisons, les émeutes grondent, la faim aussi. La volatilité des prix dans le commerce international fait l’objet de critiques violentes. Elle s’explique par une absence problématique de stocks, dont nous avons pris collectivement conscience lors de la crise de 2008 cumulée à la dérégulation des marchés agricoles intérieurs. Du jour au lendemain, de nombreux spéculateurs se sont tournés vers les denrées agricoles, conduisant à une pénurie. Encore aujourd’hui, le moindre déficit de production entraîne le yo-yo des prix, mettant en péril de nombreuses personnes et participant à la progression de la faim dans le monde. Pour stabiliser le système, les stocks sont à refaire et de nouvelles bases de régulation des marchés sont à établir. La transparence est de mise. À ce titre, le système AMIS permet depuis 2011 de centraliser l’information sur les marchés agricoles.


Les légumineuses ? D’un point de vue agronomique, c’est très bon d’en avoir, d’un point de vue nutritionnel, aussi. Donc, pour l’instant, on a tout faux !

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Concilier compétitivité, écologie et reconnaissance des agriculteurs : un tryptique utopique ?

L’agriculture française est une référence mondiale. Moteur principal de notre commerce extérieur, le système en place présente pourtant une faille : les agriculteurs ne sont pas corvéables à merci. Entre investissements colossaux et sols appauvris, innover pour leur survie est un défi de taille. Le renouvellement à grande échelle des pratiques se fait attendre. Les scientifiques ont ainsi un rôle à jouer pour prêter main-forte. Voici deux exemples qui pourraient faire école.

Au  virage agro-écologique français

Entre agroforesterie, permaculture, agriculture raisonnée, biologique, bio intensive…, la bataille est féroce. Sans même parler de technologies (la France est pionnière en « Agritech »), les possibilités sont nombreuses pour renouveler notre approche agricole. Pour aider les agriculteurs, les chercheurs de l’INRA mènent leurs enquêtes. Exemple en 2013, sous la conduite de Marion Guillou, ils ont exploré les possibles pour atteindre une performance économique et environnementale. En ressort le projet d’agroécologie introduit dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014. Les démarches collectives préconisées connaissent un fort taux d’adhésion. En un an, plus de 240 Groupements d’intérêt économique et environnemental sont dénombrés.

La légumineuse, meilleure amie de l’agronome ?

Voici un pur cadeau de Mère Nature ! Pourtant, nous les boudons, mais peut-être plus pour longtemps. L’ONU consacre 2016 année de la légumineuse. Y verrons-nous une campagne de communication de plus ou un véritable tournant ? Les légumineuses à graines sont, un brin, magiques pour leur apport nutritionnel, mais pas uniquement. Leurs racines décompactent le sol tandis que ces graines comestibles riches en fibres et protéines fixent l’azote de l’air. Elles enrichissent le sol pour le plus grand bonheur de leurs voisines. Un rêve pour le jardinier ou l’agronome en quête de solutions plus respectueuses de l’environnement ! À tel point que ce dernier rêverait de reproduire ces conditions racinaires au pied de nos chères céréales. Reste à savoir si les agriculteurs français suivront alors que leur production ne couvre aujourd’hui que 30 % de nos besoins en quinoa, haricot rouge ou autres légumineuses.

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