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le 19 juillet 2021

CUBA , la culture de la survie

Histoire d’une sobriété contrainte

« De Alto Cedro voy para Marcané

Luego a Cueto voy para Mayarí. »

Vous l’avez ?

Eh oui, le célèbre « Chan Chan » de Buena Vista Social Club. Bienvenue à Cuba, le joyau des Caraïbes. Située à 170 km des côtes américaines, l’île révolutionnaire attire chaque année plus de 4 millions de touristes.

« Cuba ? C’est un super voyage, tu ne regretteras pas ! » 

Alors non, en effet, si l’on s’en tient au combo cigare, rhum, mambo et tee shirt du Che, il n’y aura pas de regrets, Cuba tient ses promesses.

 

Mais ce serait  également passer à côté de l’autre visage de Cuba, un visage plus dur, marqué par une histoire aussi violente qu’extraordinaire. Celle qui a conduit la plus grande île des Caraïbes vers une révolution écologique, à marche forcée.

Entre oppression mafieuse, protection communiste et révolution, remontons le temps pour découvrir l’histoire de cette Cuba, aujourd’hui verte, qui en a vu de toutes les couleurs.

Cuba avant Castro : derrière l'écran de fumée des salles de Black Jack

Nous sommes dans les années 50, Cuba compte peu de visiteurs étrangers. Le tourisme de masse n’est pas encore suffisamment développé et les quelque 40 à 50 000 visiteurs par an sont principalement des Américains. L’archipel a alors la réputation d’être « l’île du pêché », peuplée de gangsters et prostitués, dans une atmosphère extravagante et enfumée.

Les Américains font le voyage pour jouer dans les nombreux casinos de La Havane et pour gérer les entreprises dont ils sont propriétaires sur l’île, principalement dans l’industrie du tabac et du sucre.

Car si l’île produit du café, des agrumes, du bois et du bétail, à cette époque ce sont les immenses plantations sucrières que l’on remarque. Sur 5600 km de voies de chemins de fer (parmi le plus long réseau d’Amérique latine), 4 627 sont consacrés à l’industrie sucrière. Leader des Antilles en production de sucre de canne, Cuba l’exporte brut, raffiné ou sous forme d’alcool. Le tabac est la deuxième manne financière de l’île. En 1952, 51 000 hectares de terres arables lui sont consacrés avec une production cette année-là atteignant 38 600 tonnes. La ville de La Havane est alors le centre mondial de fabrication de cigarettes et acquerra une renommée internationale grâce aux fameux cigares appelés Havanes.
Ces deux industries, principales sources de revenus de l’île, sont donc aux mains de monopolistes principalement américains et ne profitent absolument pas à la population locale.

Les ouvriers cubains meurent de faim et n’ont pas le moindre lopin de terre à cultiver. La récolte du tabac et de la canne ne durant que 3 mois, ils empruntent de l’argent à des usuriers à des taux de 20% qu’ils ont bien du mal à rembourser. Chaque semaine, les cubains espèrent pouvoir combler une partie de leur dette en jouant à la loterie nationale, la bolita”, empirant bien souvent leur situation financière catastrophique.

Malgré un PIB proche des pays d’Europe du Sud, un taux d’alphabétisation de près de 80%, la société cubaine souffre d’énormes disparités. Les cubains subissent la corruption généralisée des gouvernants, l’extrême pauvreté rurale et le taux élevé de chômage (surtout parmi les jeunes, aussi bien dans la ville qu’à la campagne).

Socialismo o muerte, patria o muerte, venceremos

Cuba aux cubains 

Trop c’est trop. Le 1er janvier 1959 restera une date historique pour le peuple cubain et le point d’orgue de la révolution cubaine. Fidel Castro, Che Guevara et leurs hommes prennent La Havane et renversent le gouvernement corrompu et brutal de Batista, c’est la révolution verte, en hommage aux couleurs des treillis des paramilitaires. Les États-Unis observent ce spectacle avec effroi, ils n’ont absolument rien à gagner à voir Batista s’enfuir et craignent, à raison, de perdre leurs avoirs sur l’île.

Si dans un premier temps, Fidel Castro assure à ses voisins qu’il ne compte pas instaurer de politique communiste, ses premières réformes vont prouver le contraire. C’est la fin de la lune de miel entre Cuba et les États-Unis et le démarrage de décennies d’hostilité.

Une des premières action de Fidel Castro en tant que premier ministre est de nationaliser les plantations de canne à sucre, dont plus de la moitié appartiennent à des groupes étasuniens. Le président Eisenhower décrète alors un embargo et interdit aux entreprises américaines et alliées de commercer avec Cuba. L’île caribéenne ne fait pas le poids, l’alliance avec l’Union Soviétique est alors inévitable.

Une véritable aubaine pour Moscou qui trouve en Cuba une base militaire avancée à 150 km de la Floride. Après le fiasco du débarquement de la baie des Cochons (1961) et la crise des fusées (1962), qui fait craindre une guerre nucléaire, Cuba passe sous l’entière dépendance de l’URSS dont Castro devient le VRP auprès de tous les rebelles des pays en développement.

Sa ligne politique ne change pas et s’oriente vers une nationalisation complète de l’industrie.

Ecologie ou nécrologie ?

Si les trente premières années post-révolution ont eu des effets positifs en termes de progrès sociaux, cela est moins vrai concernant la dépendance externe, la vulnérabilité alimentaire et la dégradation de l’environnement.

La production agricole du pays vit durant cette période sous perfusion vis-à-vis de l’extérieur, principalement l’URSS. L’île importe plus de moitié de ses pesticides et la quasi-totalité de ses machines et de son alimentation animale (48 % des engrais chimiques, 82 % de pesticides et 97% de la nourriture des animaux) à la fin des années 80. Cuba mise tout sur la mécanisation de son agriculture et l’usage de l’agrochimie pour traiter ses sols. Le gouvernement voit toujours plus grand en cultivant d’immenses surfaces pour profiter des effets d’économie d’échelle et augmenter les rendements agricoles. Pourtant, les résultats attendus peinent à être obtenus et la rentabilité est loin d’être acquise, principalement dans les fermes d’État surdimensionnées.

Les années post révolutionnaires marque également l’avènement des rationnements et le peuple ne meurt plus de faim. Pourtant, la vulnérabilité alimentaire reste forte. L’étroite relation économique de Cuba avec l’URSS influence les types de production et conduit à la spécialisation agricole dans un nombre réduit de matières premières.

Malgré la propagande du régime castriste, Cuba ne s’en sort principalement que grâce aux liquidités soviétiques. Les difficultés latentes liées à la sécurité alimentaire du pays, la dégradation de l’environnement et le renforcement de la dépendance externe du modèle agricole explosent en même temps que le bloc communiste à partir de 1989.

De la contrainte à la créativité agricole

1989, l’URSS s’écroule. Cuba prend conscience de la fragilité de son modèle agricole. L’effondrement du bloc est un tsunami économique pour l’île qui perd alors environ 85 % de ses marchés à l’exportation, notamment le sucre, acheté à prix fixe par les anciens pays du bloc, ainsi que l’aide soviétique, estimée à plusieurs milliards de dollars par an.

Le PIB cubain chute de 35 % entre 1990 et 1993. Le blocage du flux économique ajouté à l’embargo apparaît alors comme un défi impossible à relever.

Tout est donc à revoir, surtout le modèle agricole.

Le gouvernement cubain va alors mettre en place, dès juillet 1990, une « période spéciale en temps de paix » (el período especial) consistant à adopter des mesures d’économie et de restriction draconiennes et une gigantesque réforme agraire.

La rupture soudaine des aliments fournis par le gouvernement et les prix exorbitants du marché noir poussent les habitants des villes à cultiver eux-mêmes des plantes alimentaires dans leurs cours, sur leurs balcons, leurs toits ou dans leurs jardins. Les familles qui ont la chance d’avoir leur propre jardin le reconvertissent en parcelle productive.

Une série de politiques de décentralisation encourage alors ces formes de production individuelles et collectives. 80 % des fermes d’État sont fractionnées et transformées en coopératives autogérées pour fournir en aliments les institutions (hôpitaux, écoles, jardins d’enfants) dont le reliquat peut être vendu librement. De plus, des terres cultivables en friche sont confiées en usufruit à de nouveaux exploitants pour augmenter la production locale et, en 1994, sont créés les marchés ruraux où peuvent être vendus les surplus des coopératives et des petits paysans.

Une ferme dans la ville

La révolution agricole, c’est aussi la naissance des organoponicos.  Ce terme vient du grec

« organo », relatif au vivant, et « ponos », travail. Il s’agit de fermes urbaines au sein desquelles se juxtaposent plusieurs parcelles qui forment des bandes de faibles largeur, souvent moins d’un mètre et de plusieurs dizaines de mètres de longueurs. Chaque parcelle est surélevée, aucune étude de sol n’est donc nécessaire. Ceci explique pourquoi on en retrouve dans des décharges, sur des terrains vagues ou même sur des terrasses.  Entourées d’un muret, les parcelles sont remplies de terres et d’engrais naturel composé de matière organique. Cette culture, surtout dédiée à la production de légumes frais, est de facto écologique. Le rendement des organoponicos laisse rêveur : plus de 20 kilos par mètre carré. Ils permettent de cultiver tout au long de l’année des cultures maraîchères en rotation.

Au départ, il s’agit d’une initiative citoyenne mais devant l’ampleur du phénomène, le gouvernement s’en empare et en assure la supervision. 29 sous-programmes (en élevage, culture et aide à la production) doivent rationaliser cette activité également considérée par le gouvernement comme facteur de développement communautaire durable.

Dans les organoponicos, les travailleurs reçoivent un salaire fixe et des primes de production. Le revenu moyen des travailleurs des organoponicos est de 1 500 pesos par mois (60). Un salaire supérieur au salaire moyen des fonctionnaires d’état, compris entre 500 (20) et 1 000 (40) pesos. Autre avantage, en nature cette fois, la plupart des travailleurs peuvent ramener chez eux, gratuitement, une quantité de légumes pour leur propre consommation.

À la Havane, le circuit court est roi. Les deux tiers des légumes consommés dans la capitale sont issues des agroponicos havanais et le reste provient de la périphérie.  Au début des années 2000, la Province de La Havane produisait 137 000 tonnes de légumes sur 1 261 hectares (13 % de la surface cultivée de l’île), soit 100 tonnes par hectare et par an (Granma, 2001). Sur cet ensemble, 34 000 tonnes étaient produites dans les 170 hectares des 96 organoponicos de La Havane soit 200 tonnes par hectare et par an

Si l’agriculture urbaine et les agroponicos sont les stars de l’agroécologie cubaine, il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. De restrictions en restrictions, l’embargo américain a poussé les Cubains à toujours plus de créativité et d’adaptation vers une sobriété contrainte.

Des chevaux sous le capot   

Difficile de circuler à Cuba sans se retrouver derrière une charrette faisant office de minibus. Si l’image prête à sourire, elle est surtout symptomatique de privations drastiques dans tous les domaines, notamment l’accès au carburant. Ceci s’est révélé d’autant plus vrai en 2019 quand le Venezuela a stoppé pendant un temps ces exportations de pétrole.

En agriculture, les machines existantes ne sont plus d’aucune utilité, sans carburant, ni pièces de rechange. Bœufs, chevaux et autres bêtes de traits sont l’unique moyen de travailler la terre, de véritables tracteurs écolos. De 5 h 30 du matin à 11 h puis de 15 h au coucher du soleil, les animaux tirent pour labourer, herser, rouler la terre ou encore pour transporter la nourriture et les paysans. Les animaux se nourrissant d’herbe, c’est un combustible qui ne coûte presque rien et qui rapporte de l’engrais !

Du tout chimique à l’organique 

Depuis 1990, plus de livraison d’engrais et de produits chimiques ! C’est un mal pour un bien, car les monocultures et l’utilisation massive de ces produits avaient conduit au développement  de maladies et de nouvelles pestes résistantes aux herbicides et aux insecticides. Ce système était donc voué à l’échec. Comme les cubains face à l’adversité ne manquent pas de ressources, ils investissent en masse dans les formations en agronomie. Eh oui, faute de pesticides, mieux vaut avoir une excellente connaissance des sols, des semences, etc. Pour cela le système éducatif cubain est très réputé. Cuba représente 2% de la population d’Amérique sud et forme pourtant 11% des scientifiques. Le résultat est immédiat : Cuba passe d’une consommation de 1000 tonnes de pesticides en 1990 à 90 tonnes pour les engrais, et de 35 tonnes à 1 tonne pour les pesticides !

Aujourd’hui, il n’y a plus que deux cultures qui bénéficient d’une aide de l’État pour leur approvisionnement en antiparasitaires et en engrais chimiques : le tabac et la pomme de terre. Pour les autres, c’est compost organique composé principalement de déchets végétaux et de fumier d’origine animale couplé a un contrôle naturel des insectes nuisibles et des maladies des plantes. Ces techniques sont développées in situ dans des laboratoires qui se consacrent à la fabrication d’antiparasitaires biologiques. Officiellement, 80 % des coopératives agricoles de l’île utilisent essentiellement des méthodes et des contrôles naturels, et ont recours à l’utilisation de produits chimiques uniquement si nécessaire. Officieusement, c’est sans doute un peu moins, car un marché noir du pesticide est bien présent sur l’île au sein duquel se côtoient produits chimiques importés sous le manteau et fabrications artisanales hasardeuses.

Aux racines de l’agroforesterie

Dès le début des réformes agraires, Cuba se lance dans un gigantesque plan de restauration des sols. En effet, les décennies de monocultures intensives ont laissé en héritage des terres érodée, compactes, des sols salins et peu fertiles. L’île troque donc ses plantations sucrières pour l’une des plus anciennes méthodes de production agricole du monde : l’agroforesterie. Une exploitation agroforestière peut être décrite comme un hybride entre un champ et une forêt. On y retrouve des plantes herbacées, comme les céréales ou le fourrage, ainsi que des arbres et des arbustes. L’agroforesterie n’est pas une pratique nouvelle, remise au goût du jour par les scientifiques il y a une trentaine d’années. Cette solution permet de réconcilier la production alimentaire avec la protection de l’environnement, tout en contribuant à l’économie locale. À Cuba, les transformations vont à toute vitesse, plus de 100 000 familles ont déjà adopté l’agroforesterie en moins d’une décennie.

Cuba, paradis de l'agroécologie ?

Les impacts de cette réforme agraire sans précédent sont nombreux. Aussi bien dans le domaine environnementale, qu’économique ou sociale. Bien au-delà du secteur purement agricole, c’est toute la société cubaine qui s’est trouvée transformée.

L’environnement, le grand gagnant 

Concernant l’environnement, on observe à Cuba une réduction de la contamination des sols. Les Cubains produisant leur propre engrais, celui-ci est majoritairement bio, composé de déchets végétaux qui enrichissent les terres. L’utilisation de lombrics accélère le compost, les sols cultivables se trouve donc dans un cercle vertueux d’enrichissement.

On assiste également à une augmentation de la biodiversité due principalement au recul drastique des pesticides, herbicides et autres produits chimiques et pharmaceutiques. La preuve en est avec le retour de certaines espèces, notamment les abeilles ! Rappelez-vous, au milieu du 20e siècle, avant l’utilisation des pesticides, Cuba exportait beaucoup de miel. Avec l’agroécologie, les butineuses se sont réappropriées le territoire et le miel a repris ses lettres de noblesse. Une grande partie de la production est certifiée biologique, car aucun produit chimique n’est utilisé lors de la fumigation des ruchers ou du désherbage et aucun antibiotique n’est autorisé. Presque toute la production de miel est exportée (95%), essentiellement vers l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne et la Suisse, pour un chiffre d’affaires de 18 millions de dollars en 2017.

En raison de leur complexité, les systèmes agroforestiers excluent l’usage des fertilisants, pesticides et herbicides, diminuant les risques pour la santé humaine et l’intégrité de l’environnement. De plus, les parcelles agroforestières sont beaucoup plus résilientes aux évènements extrêmes que les monocultures. Les arbres et arbustes des exploitations agroforestières augmentent l’humidité au sol, améliorant la résistance des cultures aux sécheresses, dont la fréquence et l’intensité devraient augmenter avec les changements climatiques.

« Vivre pour la nation, ou mourir » (Fidel Castro)

Le peuple cubain travaille désormais par lui-même et pour lui-même, ça change tout. On assiste depuis plusieurs années à l’émergence de nouvelles forces productives. Ces forces s’appuient sur des communautés. Le don, l’aide entre voisin ou la répartition sont les moteurs de cette économie.

Même si le gouvernement a lâché un peu de lest ces derniers temps, donnant davantage de marge de manœuvre aux initiatives individuelles, les initiatives collectives sont encore largement privilégiées. Le mot d’ordre du gouvernement : « Décentraliser sans perdre le contrôle, centraliser sans tuer l’initiative. » Dans les villes, ce principe a permis de promouvoir la production dans le quartier, par le quartier, pour le quartier, en encourageant la participation de milliers de personnes désireuses de rejoindre l’initiative. Le mouvement « Campesino a campesino » (De paysan à paysan) renforce ce phénomène. Il s’agit d’une forme d’entraide entre professionnels de l’agriculture basé sur l’échanges de bonnes pratiques. Véritables acteurs de l’innovation technique et sociale, les paysans testent l’agroécologie sur leurs terres et proposent des ateliers de formation, des échanges de semences et des forums régionaux et nationaux de partages des savoir-faire.

Enfin, l’agroécologie cubaine finit de briser les traces du patriarcat paysan en rendant aux femmes paysannes une place à part entière dans les tâches agricoles, autrefois jugées trop laborieuses. La multiplicité des tâches développées par les coopératives (cultures de lombric, compostage, production de semis, conservation des semences, soins apportés aux polycultures et aux sols, etc.) leur a permise de trouver leur place auprès des hommes, ceci est également vrai pour les personnes âgées et la jeunesse du pays.

Le revers de la médaille est que cette jeunesse est parfois… beaucoup trop jeune. Le non recours aux herbicides dans les champs par exemple, demande plus de main d’œuvre pour désherber, et ce sont souvent de bien petites mains qui s’attèlent à cette tâche ingrate.

Concernant la santé, malgré le panier alimentaire hebdomadaire subventionné par l’État, le régime alimentaire n’est pas très varié. Beaucoup de cubains, en particulier les tout-petits, les femmes enceintes et les personnes âgées, souffrent d’anémie et de maladies causées par l’absence de certains micronutriments. Depuis 2002, le gouvernement tente de combattre cela par des doses de vitamines, mais même en 2014, il a dû admettre que, dans les cinq provinces de l’est du pays (où on pratique beaucoup l’agriculture), 27 % des enfants de moins de cinq ans et jusqu’à 40 % des enfants de moins de six mois souffrent d’anémie.

Ne perdons jamais de vue que les cubains sont en permanence dans une logique du « faire avec ». Oui, il y des communautés, de l’entraide, etc. mais toutes ces nouvelles formes de société émergent, car il n’y a pas vraiment de place pour les initiatives individuelles. 70% des cubains aimeraient avoir le droit de créer leur propre entreprise sans devoir dépendre de l’état. Le socialisme cubain est toujours écrasant et les cubains font surtout du mieux qu’ils peuvent avec le peu de droits qui leurs sont octroyés. Les jeunes cubains, bien que fiers de leur histoire, sont envieux des libertés offertes par les systèmes capitalistes et Miami, à 300 kilomètres de l’autre côté de la mer des Caraïbes, les nargue et le leur rappelle tous les jours.

L’économie danse entre fragilité et résilience

D’un point de vue économique, Cuba peut être fière de son parcours, compte tenu des épreuves traversées. La diversification des espèces cultivées réduit la vulnérabilité des exploitations à la volatilité des prix. C’est également un moyen d’assurer une meilleure stabilité économique. D’ailleurs, en 30 ans, le secteur agricole cubain a considérablement augmenté sa productivité par hectare et par travailleur.

On peut parler aujourd’hui d’une économie solidaire sur l’île mettant en avant la création de valeur d’usage et non d’échange, en mettant au centre le bien-être de la communauté.

20% des produits frais sont reversés à l’État qui les distribue dans des crèches ou maisons de retraite ; 80% des produits sont vendus sur place par les cultivateurs aux particuliers.

Alors, Cuba, eldorado d’une nouvelle économie solidaire ? Ce portrait sans doute un peu trop beau mérite d’être nuancé.

Malgré ses efforts concernant les fruits et les légumes notamment, Cuba doit encore importer 70 à 80 % de la nourriture nécessaire pour ses quelques 11 millions d’habitants, principalement le riz, les céréales, les graines oléagineuses, le lait et les produits laitiers, ainsi que la viande. Pour ce faire, Cuba dépense 1,5 milliard de dollars par an. Les importations de produits alimentaires représentent 20 % des dépenses d’importation de l’ensemble du pays.

Si la faim et la pauvreté ont été largement éliminées (le pays se classe 44e sur 187 dans l’indice de développement humain du PNUD de 2014), cela est principalement dû aux importations de nourriture.

Les cubains sont toujours considérés comme pauvres. Ils bénéficient d’un livret de rationnement « offert » par l’état de 35 pesos par mois alors qu’un panier moyen mensuel reviendrait autour de 900 pesos. Celui-ci est donc loin d’être suffisant pour faire vivre une famille. De plus, les prix des denrées produites sur place sont élevés et la situation de l’approvisionnement est toujours précaire. Aujourd’hui, même si Cuba produit pour sa consommation plus de 70% de fruits et légumes, son volume élevé d’importation ne lui garantit pas une totale autonomie alimentaire. Toutefois, selon les critères de l’ONU, « le pays a un indice de développement humain élevé et une faible empreinte écologique sur la planète ». Si demain les importations de nourriture devaient s’arrêter, les habitants seraient beaucoup moins en péril que ceux d’un pays comme la France, qui dispose seulement de quelques jours de réserve dans ses supermarchés (d’après le Ceser – Conseil économique, social et environnemental Ile-de-France, la région dispose de quatre jours de réserves alimentaires).

Cuba : Mecque de l’agroécologie ou simple instinct de survie ?

L’embargo américain qui frappe depuis 1962 La Havane, puis la disparition de l’aide soviétique à Cuba ont profondément transformé l’île. Cuba a su adapter son territoire à une économie de la pénurie et a fait la démonstration de sa capacité de résilience alimentaire.

Il aura fallu une gigantesque crise économique pour que Cuba découvre les vertus de l’agroécologie, de la permaculture, de l’agroforesterie ou encore du sylvopastoralisme (mode d’agriculture durable qui concilie objectifs forestiers et pastoraux). Les effets positifs de cette transformation sont nombreux et indéniables, sur l’environnement, l’économie et la société.

Les conditions de vie des Cubains se sont largement améliorées depuis la révolution. Toutefois il faut garder en perspective que ce peuple partait de très loin, aussi bien en termes de conditions de vie que d’acquis sociaux.

Malgré un système éducatif et de santé gratuit et performant, il est toujours bien difficile pour la majorité d’entre eux de joindre les deux bouts. Car Cuba, c’est l’agroécologie, mais c’est aussi la pauvreté et les pénuries.

Les cubains n’en demeurent pas moins un peuple fier et d’une extrême résilience. Aujourd’hui, la plus grande île des caraïbes constitue un cas d’école pour un développement durable inventé, expérimenté et éprouvé sous la pression de la nécessité. Toutes les grandes puissances gardent un œil sur ce développement aussi vertueux que contraint.

Car la contrainte est bien le premier moteur de toutes ces transformations. On peut alors légitimement s’interroger sur la transposition de ce type de modèle dans nos sociétés occidentales capitalistes et consuméristes. Si l’apparition de centaines d’organoponicos au cœur de nos capitales européennes semble peu probable, une inspiration du modèle cubain, ne serait-ce que par petites touches, serait déjà un excellent début vers une révolution « culturelle ».

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