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le 20 août 2018

Les coopératives au cœur des filières agroalimentaires

22 000 adhérents, 12 000 salariés, 2 millions d’hectares de SAU1 et 4 683 millions d’euros de chiffre d’affaires, la coopérative Terrena est incontestablement un poids lourd du monde agricole. Pourtant, depuis sa création, cette entreprise met un point d’honneur à conserver des valeurs de coopération et à faire passer avant tout les agricultrices et les agriculteurs. Mais est-ce vraiment possible quand on est si grand ? Dans un monde où tout s’internationalise, l’agriculture n’est pas épargnée et sur les marchés internationaux, les coopératives sont en première ligne. Gagner des parts de marché, proposer des prix attractifs au consommateur, protéger ses adhérents tout en réinventant leurs façons de travailler, les défis sont quotidiens. Dans un climat plutôt morose, leur devoir est également de rassurer, de proposer une vision et un avenir à celles et ceux qui travaillent chaque jour la terre pour nous nourrir. Hubert Garaud, président de la coopérative Terrena, nous a présenté sa vision d’agriculteur-président. Tantôt bienveillant, tantôt critique, mais toujours engagé, il nous livre ses convictions.

Un col blanc en bleu de travail

Voilà comment pourrait être défini Hubert Garaud. Agriculteur convaincu et passionné, il n’est pas devenu président de Terrena par hasard. Hubert Garaud, c’est un enfant de la terre, élevé dans une famille d’agriculteurs engagée dans le mutualisme et la coopération. Son BEP en poche, ce futur président se forme au sein du mouvement de la JAC2, puis il fait ses premières armes dans les CUMA3 dont il gravit rapidement les échelons jusqu’à la vice-présidence.
En 1997, il passe administrateur de Cana (devenue Terrena en 2004) puis président. Depuis bientôt douze ans, Hubert Garaud veille sur Terrena et sur les hommes et les femmes qui composent cette coopérative. C’est donc avec un regard avisé qu’il décrypte le monde agricole. Pour lui, ce qui est sûr, c’est qu’il est possible de faire bouger les lignes, mais pour cela il faut être accompagné de travailleurs passionnés qui ont la volonté de mettre en place de belles choses.


Si, après-guerre les coopératives avaient un rôle vraiment économique, aujourd’hui, cet aspect ne suffit plus. L’agriculture a subi des crises aussi nombreuses que douloureuses depuis plusieurs décennies. Le modèle agricole que nous connaissons est en perte de vitesse et a un besoin urgent de se réinventer. C’est aussi ça, le rôle des coopératives, donner une vision aux agriculteurs, qui, et à raison pour certains, ont perdu confiance dans leurs perspectives d’avenir.  

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Les coopératives au cœur des filières

Un rôle fédérateur

Pas toujours connues des consommateurs et actrices discrètes de la sphère publique, les coopératives sont pourtant des incontournables du monde agricole. Non seulement elles fédèrent les agriculteurs en leur proposant des tarifs groupés sur leurs achats, mais elles proposent également un accompagnement à l’installation des jeunes, une aide à ceux qui rencontrent des difficultés de trésorerie et une recherche permanente de valorisation des produits. Malgré cet accompagnement, l’agriculteur reste a priori maître chez lui et prend ses propres décisions, c’est à la coopérative de convaincre l’agriculteur du bien-fondé des stratégies de production proposées. Les coopératives sont donc un pilier pour les agriculteurs, malgré leurs capitaux propres qui peuvent paraître énormes (600 millions d’euros pour Terrena), les capitaux humains, stables et non délocalisables restent les plus importants.

L’ADN de la coopérative

Terrena revendique quatre valeurs fondatrices :

le respect envers les collaborateurs et les partenaires,
la culture client,
la création de valeur à long terme.
la solidarité intergénérationnelle,

Dans le prolongement des exploitations agricoles, les coopératives doivent être à l’image de l’agriculture, variées, accessibles à toutes et à tous, peu importe le type de production. Cet aspect est très important, car au sein de cette coopérative cohabitent de multiples filières. Du producteur de lapins bio au viticulteur en passant par les producteurs laitiers, ils sont 22 000 adhérents à la deuxième coopérative de France. Et peu importe la taille de leur exploitation, au sein des coopératives, chaque adhérent représente une voix.

Produire plus avec moins

Les coopératives participent à renforcer également le lien entre l’agriculteur et le consommateur. Ce rôle est donc important dans un monde ou les marchés, même les plus locaux, s’internationalisent. Le nerf de la guerre, c’est tout de même le développement, comme pour toute entreprise, il faut progresser, s’améliorer, et l’agriculture ne déroge pas à cette règle. La concurrence de pays comme la Chine est rude et le positionnement sur du « low cost4  » est à coup sûr perdant. Pour pouvoir sortir la tête de l’eau, la meilleure des stratégies consiste à faire progresser la valeur ajoutée des productions françaises. « Progresser ne veut pas forcément dire vendre plus », souligne Hubert Garaud, cela veut surtout dire vendre et accompagner différemment. Faire accepter ce nouveau schéma n’a pas été une mince affaire pour Terrena, car vendre moins ne va pas avec les schémas mentaux que nous avons du développement. Les peurs de perte d’emplois sont réelles et les agriculteurs ont dû être rassurés, cela a pris plusieurs années à la coopérative pour expliquer et convaincre que l’on peut vendre moins tout en développant ses parts de marché. D’ailleurs, cela a fonctionné : « Aujourd’hui, je peux dire que nous pouvons produire mieux, avec moins », se réjouit le président de Terrena.


Les Sentinelles de la terre® sont des agriculteurs adhérents de la coopérative, qui ont le goût de l’innovation et qui ont choisi de s’engager activement dans le développement des solutions NA – La Nouvelle Agriculture®. Adhérents convaincus des avancées de l’Agriculture Écologiquement Intensive (AEI), ces agriculteurs, accompagnés d’un technicien de production, testent en situation réelle, dans leurs fermes, des solutions nouvelles, destinées à produire plus et mieux, avec moins.

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Sciences & technologies pour une nouvelle agriculture

Semer le progrès

Pour transformer l’agriculture en profondeur, il faudra beaucoup de temps, alors autant retrousser ses manches dès maintenant ! Sans parler de changement radical et brutal qui ne serait ni compris ni suivi, il s’agit dans un premier temps de mettre les gens sur le bon chemin en créant une rupture. Cette rupture a pris la forme d’une nouvelle stratégie, dès 2008. Stratégie reprise très rapidement par bon nombre d’agriculteurs français. De nouvelles façons de travailler sont alors sorties de terre, ce sont maintenant des stratégies acquises. Parmi elles, on retrouve l’éco performance, l’éco production ou encore le concept phare de Terrena : l’Agriculture écologiquement Intensive.

Le marketing s’invite sur les exploitations

De l’écologie intensive ? Cet oxymore est marquant, clivant même, et c’est exactement l’effet recherché, créer une rupture dans les esprits. D’ailleurs, cette formule en a fait réagir plus d’un lors du débat qui a suivi la conférence. Pour Terrena, respecter l’environnement ne veut pas forcément dire ne pas y toucher, mais utiliser les ressources de la façon la plus naturelle possible. Ce ne serait pas utopique mais scientifique. Ces modèles seraient en fait du bon sens, de la science appliquée aux modes de production. Fini l’intensification à grands coups d’engrais chimiques, pesticides et aliments transformés, l’agriculture entre dans l’ère de l’intensification de la matière grise de l’homme dans son acte de production.

La révolution est dans le pré

Jusqu’à la fin du XXe siècle, les producteurs utilisaient beaucoup d’intrants. Les rendements étaient au rendez-vous et les agriculteurs assez peu informés de la composition des produits utilisés, donc tout le monde y trouvait son compte. Aujourd’hui, la donne a changé, les SAU diminuent, les problématiques de santé se multiplient, le modèle doit évoluer. Ce changement passe par une meilleure connaissance globale des sols, mais pas seulement, ce sont l’environnement global et l’agriculture qui doivent être remis en question. L’utilisation de la biodiversité et les associations de cultures sont un premier pas vers une nouvelle façon de produire. Le recyclage des rejets de méthane, l’alimentation et le confort des bêtes ou encore la mise en place des robots de jardinage en sont un autre. La marge de progression est énorme et cette agriculture n’en est qu’à ses prémices. « Cela remet complètement en cause la façon dont nous voyons l’acte de production agricole, ce qui nous permet d’affirmer que les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas un problème, mais une solution », explique Hubert Garaud. Les innovations poussent comme des champignons et c’est bien une révolution qui s’opère dans le monde agricole.


Attention, ne nous méprenons pas, un conte de fées n’est pas en train d’opérer au milieu des tracteurs et des stabulations, les difficultés du monde agricole sont bien réelles. Les turbulences qui ont eu lieu à l’ouverture du Salon de l’agriculture nous l’ont encore récemment rappelé. « Nous sommes très forts pour constater, mais moins forts pour mettre des solutions en place ». Selon Hubert Garaud, la première étape serait donc d’y croire avant tout.
Pourtant, au-delà des discours empreints d’optimisme et d’avenir, force est de constater que l’état de certaines filières agricoles, comme la production laitière, est catastrophique. Chaque jour ,ce sont sept exploitations laitières qui mettent la clé sous la porte. Rien que dans le département de la Manche, 40 % des exploitations ont fermé en 2015. Les agriculteurs s’interrogent de plus en plus sur l’avenir des coopératives et le rôle qu’elles devront assumer.

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Une remise en question ­impérative

« En France, nous nous plaignons beaucoup, et à force de nous plaindre nous ne voyons plus rien. Nous ne voyons plus la diversité de notre territoire, la diversité de nos productions, on ne voit que ce qui va mal et le malaise ambiant prend le dessus. » Voilà qui est dit. Dans un climat agricole plus que morose, Hubert Garaud souhaite insuffler un vent d’optimisme. Partager son métier, en être fier, dialoguer avec les consommateurs devrait être à la base du métier d’agriculteur, ce n’est malheureusement pas toujours le cas. « Le monde agricole a fait une erreur, celle de ne pas s’ouvrir », déplore le président de Terrena, même si pour lui il n’est jamais trop tard. Les circuits courts, la distribution multi canal sont des modèles à embrasser pour rester dans la course. Tout n’est donc qu’une question de résilience au monde qui bouge (très) vite et aux habitudes de consommation de plus en plus mouvantes.

De la fourchette à la fourche

Aujourd’hui, le consommateur a le choix entre les produits conventionnels et les produits biologiques. La volonté de Terrena est de créer une troisième possibilité, appelée La Nouvelle Agriculture®.
Cette agriculture aura un contact plus direct avec le consommateur, cela passe notamment par le développement des outils numériques. « Comme les taxis face à Uber, si l’agriculture ne se remet pas en cause, elle va dans le mur », explique Hubert Garaud. Le changement se fera également dans le mode de distribution. « Le modèle français est complètement obsolète. Ce règne du prix le moins cher n’est pas viable. Nos voisins européens, notamment les Allemands et les Anglo-Saxons, s’en sont d’ailleurs déjà rendu compte. Chez eux, sur l’ensemble des maillons, du producteur au consommateur, personne n’est lésé. La France y viendra, c’est inéluctable, car la valeur que représente la proximité avec les producteurs est enfin comprise », conclue le président de Terrena.

En attendant que « tout le monde y trouve son compte », espérons que les coopératives sauront défendre leurs agriculteurs dans cette période plus que difficile. Quant à nous, consommateurs, si notre portefeuille nous le permet, nous pouvons nous mobiliser en soutenant notre agriculture, consommons donc français, et local !

INFO +

L’écologie du rendement

La technique « Association variétale Colza », inspirée de la lutte intégrée, consiste au moment du semis à mélanger deux variétés de colza dont l’une est plus précoce.
La première, semée à hauteur de 5 %, va fleurir avant et attirer les insectes : ces derniers, trouvant leur nourriture, vont se reproduire, accélérant d’autant leur cycle.
Ainsi, les insectes sont « détournés » de la seconde variété qui représente 95 % des semences, cela limite fortement l’avortement des boutons floraux, cause de perte de rendement. Cette technique permet d’économiser un ou deux traitements.

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