Conférences

le 15 novembre 2019

Smart villages: petits mais malins

Il est des histoires qui forgent des identités. Dans le Morvan, haut lieu de la résistance pendant la seconde guerre mondiale, le mot fatalité, par exemple, semble avoir disparu du vocabulaire depuis 75 ans. Alors, ce n’est peut-être pas un hasard si Fabien Bazin a choisi cette terre rebelle pour prendre le maquis, il y a 30 ans. Depuis 3 décennies, cet ancien urbain mène combat pour la redynamisation des campagnes. Avec une certitude, c’est en les rendant plus « smart » que l’on sauvera nos villages de l’abandon. C’est cette notion de smart village que ce maire engagé est venu nous présenter le 17 octobre dernier à l’auditorium du conseil départemental.

A l’entrée du village, un panneau annonce la couleur. « Lormes, petite ville du futur » peut-on lire sur l’affiche. Le badaud est prévenu, il entre ici dans un laboratoire. Car Lormes, 1 400 habitants n’est pas tout à fait un village comme les autres. Ici par exemple, pour recruter les médecins du nouvel hôpital, le maire Fabien Bazin a fait appel à un chasseur de tête. Et quand il s’agit d’accueillir les nouvelles recrues, l’édile n’hésite pas à sortir la fanfare en signe de bienvenue ! « Ce sont des petites choses, c’est un peu paillette, un peu de la débrouille mais c’est surtout de la bienveillance » note Fabien Bazin. « C’est cela aussi être smart village » poursuit le maire, qui coupe ainsi court aux idées reçues. « Le smart village, ce ne peut être une copie conforme de la smart city » martèle l’élu. Dit autrement, « le village intelligent c’est tout autant remonter la fanfare municipale que d’assurer la fibre optique aux habitants ». Et même si Lormes cultive son statut d’avant-gardiste en matière de numérique (premier village de la région raccordé à la fibre optique dès 2009), celui qui dirige la commune depuis 2001 est catégorique, « un village agréable à vivre, un village où on a envie d’être, ce n’est pas seulement un village où tout le monde est connecté à internet ».


« Le smart village, ce ne peut être une copie conforme de la smart city » martèle l’élu. Dit autrement, « le village intelligent c’est tout autant remonter la fanfare municipale que d’assurer la fibre optique aux habitants »

Quotation

C’est pour cela que Fabien Bazin préfère le terme de « village élégant » à celui de village intelligent. Élégant et astucieux aussi.

Car au fil de ses mandats, Fabien Bazin a appris à ne pas tout attendre des partenaires. « Les collectivités ne sont pas armées pour penser différemment ». Et le maire de Lormes est d’autant plus à l’aise pour le dire qu’il siège aussi au conseil départemental de la Nièvre. Alors comme les collectivités ne s’engagent pas suffisamment dans le développement, la ville de Lormes a choisi de faire par elle-même. Avec une conviction : « le renouveau des villages ne peut plus être la déclinaison de politiques pensées en plus haut lieu ». « Le maire doit être capable de penser au-delà des murs du cimetière et du réseau d’assainissement ». Cette certitude affichée par Fabien Bazin, présente un avantage, celui d’ouvrir grand le champ des possibles. A Lormes, on a appris à expérimenter. Du bricolage ? « Il y a un côté débrouille, comme quand on récupère par exemple, une vieille voiture EDF pour la mettre à disposition des habitants et quatre minibus pour créer une plateforme de mobilité » reconnait l’élu mais « il y a surtout du bon sens ». Et ce bon sens à Lormes tient en un triptyque : « prendre en considération les besoins, la parole et la volonté d’agir des habitants ». Et Fabien Bazin s’est vite rendu compte que dans une commune qui compte 60 associations, cette volonté d’agir peut faire des miracles. Pourquoi, par exemple, ne pas mettre ces bonnes volontés à contribution pour rompre l’isolement des personnes seules ?  C’est comme ça que la commune a imaginé son site internet « Faire compagnie ». Cette plateforme compte aujourd’hui 130 voisins actifs volontaires pour rendre visite aux 80 personnes en situation d’isolement recensées sur la commune. Rien de révolutionnaire direz-vous ? Encore fallait-il y penser et aujourd’hui, le concept a fait des petits, puisque Paris a suivi le modèle de Lormes en lançant sa plateforme.


« Le renouveau des villages ne peut plus être la déclinaison de politiques pensées en plus haut lieu. Le maire doit être capable de penser au-delà des murs du cimetière et du réseau d’assainissement »

Quotation

De quoi conforter Fabien Bazin dans l’idée que le socle du village smart, c’est d’abord et avant tout l’implication des habitants et la volonté de la commune de les associer à la résolution des problèmes. Et parfois cette implication ne tient qu’à quelques pots de peinture. Ceux, par exemple, qui ont permis aux habitants de redonner de la couleur à la rue principale de Lormes. « C’est smart, c’est malin parce que ça ne coûte rien et ça permet pourtant de redonner une sensation de vie ». C’est ainsi que 2 jours par an depuis 3 ans, les habitants volontaires prennent les pinceaux pour repeindre les huisseries et redonner à Lormes ses couleurs d’antan. Celles d’une époque révolue où la commune comptait par exemple 45 cafés. Aujourd’hui, le village doit composer avec les maisons aux volets fermés et les commerces aux rideaux baissés. Mais comme à Lormes, la fatalité n’a pas sa place, la commune a décidé de racheter les maisons abandonnées pour les rénover et les mettre en location commerciale. Encore une fois, du bon sens. Mais ça marche puisque depuis 2 ans et demi, recyclerie, ancienne quincaillerie transformée en lieu de rencontre, au total 24 commerces et lieux de vie ont vu le jour à Lormes. « Quand vous avez 4 commerces qui ouvrent dans une même rue, mine de rien, ça change pas mal de choses » se félicite Fabien Bazin. Pas mal de chose, à commencer par l’attractivité. Sur ce point, impossible de donner tort à l’élu. Les statistiques plaident en sa faveur, puisqu’un lormois sur 5 n’était pas là il y a 5 ans.


Le socle du village smart, c’est d’abord et avant tout l’implication des habitants et la volonté de la commune de les associer à la résolution des problèmes.

Quotation

Pour autant, le maire de Lormes est bien conscient que les défis auxquels sont confrontées les campagnes comme le vieillissement de la population (la commune peine à attirer des familles), l’emploi, les mobilités imposent une réflexion plus profonde sur de nouvelles manières de faire, sur de nouveaux modèles. « Comme il y a les urbanistes, il va falloir inventer les ruralistes et même les bénévolistes » sourit le conseiller départemental. En attendant, à Lormes, ce travail de projection passe par « le laboratoire des villages du futur ». Cette structure, portée par la communauté de communes, accompagne les villages dans leur transformation. Instigateur de ce projet, Fabien Bazin y voit une « opportunité de sortir du cadre institutionnel en faisant un pas de côté en s’attachant davantage à l’expérience utilisateur ». Comme les collectivités « sont arrivées au bout d’une manière de faire et ont du mal à entrer en dynamique », les villages du futur sont allés chercher les idées ailleurs. Pour cela, le laboratoire s’appuie sur des savoir-faire qui étaient, jusqu’à présent, davantage réservés au milieu urbain. C’est ainsi qu’une équipe composée d’un.e architecte, d’un.e paysagiste et d’un.e designer de service arpente le territoire, depuis quelques années, pour accompagner, à la fois, les habitants dans leurs attentes et les communes dans leur mutation.

A Lormes, par exemple, l’équipe s’est trouvé un chantier : la maison de retraite de la commune. Comment repenser l’accueil et transformer le lieu pour casser l’image du « mouroir où personne ne veut aller » ? Depuis 8 mois, le laboratoire des villages du futur vit ainsi en immersion dans l’établissement. Repenser la signalétique, redessiner l’organisation du bâtiment, coller aux attentes des résidents et plus largement des habitants de la commune, l’équipe de spécialistes recueillent les avis et testent des solutions. « Penser la maison de retraite du futur, c’est se donner le temps d’expérimenter, de prototyper et même de se tromper » tonne le maire de Lormes. Car, entre faire comme avant ou essayer de faire différemment, quitte à se tromper, Fabien Bazin a fait son choix.

Une prise de risque assumée, qui a conduit, par exemple, la commune à imaginer, avec le laboratoire des villages du futur, son centre de formation aux métiers de l’artisanat et de l’artisanat d’art. Pensé comme un espace mutualisé, ce lieu labellisé Grande École du Numérique (GEN), sera également bientôt en capacité de former des décrocheurs numériques. Un dispositif qui fait école puisque des manufactures construites sur le même modèle sont en train de voir le jour ailleurs. À Marseille, Nantes… et donc à Lormes. Un village qui a décidément tout d’une petite ville du futur !

 

bool(false)