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le 16 août 2018

La pédiatrie sociale en communauté

La pédiatrie sociale en communauté (PSC), vous connaissez ? Développée au Québec il y a une vingtaine d’années, cette approche du bien-être de l’enfant n’en est en France qu’à ses premiers pas. À l’origine de cette pratique, la prise de conscience d’un homme, le Dr Gilles Julien. Pratiquer une médecine où les petits patients sont des « cas » ou des nos de dossiers ? Pour lui, non merci. Au-delà du bobo, du bouton ou du vaccin, il y a une vie et un être humain parfois en détresse. Par manque de temps, de moyens, les pédiatres n’ont pas toujours la possibilité de chercher plus loin que les symptômes purement médicaux. C’est pourquoi le Dr Gilles Julien a pris un jour son bâton de pèlerin et est parti dans les quartiers à la rencontre des familles. Son objectif  : remettre l’enfant au centre dans le respect de ses droits fondamentaux et ainsi trouver une facon de redonner une chance aux laissés-pour-compte. Sa solution : rechercher la transversalité, rassembler des professionnels de tous horizons et provoquer des discussions entre les différents piliers nécessaires à l’épanouissement d’un enfant, de la naissance à sa vie d’adulte. Loin de l’angélisme, le Dr Gilles Julien propose des solutions très concrètes qui ont fait leurs preuves au Québec. En route pour un voyage au pays de l’enfance où égalité, santé, éducation et protection ne sont pas des chimères.

Dr Julien, vous êtes le père de la PSC, quel en est le principe ?

Dans la vie, nous partons tous avec un potentiel de base. L’objectif de la PSC est de permettre à chaque enfant de développer son potentiel au maximum, tout en respectant la convention des droits de l’enfant à laquelle je suis très attaché. Différentes barrières peuvent freiner le développement de l’enfant, qu’elles soient familiales, sociétales ou encore environnementales. La pédiatrie sociale est là pour les faire disparaître ou tout au moins en minimiser l’impact. Vous savez, au Québec, un enfant sur trois passe au travers des mailles du système traditionnel. Notre objectif, c’est de mettre l’enfant au centre, de travailler avec les parents, le cercle proche et les intervenants de tous horizons pour créer une communuaté de soutien propice à l’épanouissement de l’enfant. Tisser un second filet pour capter les enfants laissés-pour-compte et rétablir une équité est notre priorité.

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Concrètement, que mettez-vous en place pour venir en aide à ces enfants ?

ous utilisons le processus de diagnostic interdisciplinaire APCA : accueil, partage, compréhension , action. Quand nous recevons un enfant, la première chose que nous faisons, c’est de le mettre à l’aise. On s’adresse à lui et on lui demande, dès qu’il parle, de nous présenter ses parents. La qualité de l’accueil et l’environnement sont des éléments primordiaux. Ensuite, tout le monde se met autour de la table. Quand je dis tout, c’est vraiment tout le monde. L’enfant est présent bien sûr, accompagné de sa famille, des amis, voisins ou toute autre personne dont les parents souhaitent la présence. Sont assis également un médecin, un travailleur social, un avocat ou tout professionnel pertinent, de nombreuses spécialités sont représentées et directement accessibles au centre. À plusieurs, les forces et les facultés se décuplent. Je ne crois pas au fonctionnement en silo qui manque cruellement d’efficacité et nous prive d’éléments pouvant parfois être des clés. En pédiatrie sociale, la parole du stagiaire a autant d’importance que celle du médecin et il n’y a pas d’observateurs, seulement des acteurs impliqués. Donc, une fois que tout le monde est autour de la table, nous élaborons ce que nous appelons un plan d’action intégré qui comprendra tous les domaines qui gravitent autour de l’enfant : la santé, l’école, le droit… La famille, comme elle est présente et participe, aura plus de facilité à appliquer ce plan une fois retournée à la maison.

Comment fonctionne cette fameuse communauté ?

La communauté fonctionne comme une deuxième famille pour l’enfant, et le centre c’est un peu une deuxième maison. La communauté en pédiatrie sociale rassemble en fait tous les acteurs du bien-être de l’enfant, de ses proches aux professionnels. Il ne faut surtout pas oublier les 400 bénévoles sans qui nous ne pourrions pas fonctionner. Ils accompagnent les enfants, les initient à différentes activités. Ces bénévoles sont extrêmement importants car ils font partie à part entière du plan d’action intégré. En fonction des besoins de l’enfant, nous faisons appel à différents talents pouvant participer à l’épanouissement des petits. Par exemple, nous jumellerons un enfant introverti avec un passionné de théâtre ou un mordu de pêche à la ligne avec un jeune en quête d’air pur…

 


Il y a quelques années, l’idée de pouvoir récupérer les 30 % d’enfants qui échappent au système traditionnel était utopique. Aujourd’hui, avec les centres de pédiatrie sociale, c’est devenu un objectif atteignable.

Quotation

Quels sont les facteurs de vulnérabilité qui touchent les enfants ?

Plusieurs éléments peuvent représenter des sources de mal-être chez les enfants. De la violence à l’insécurité en passant par l’exclusion ou le manque d’éducation, les stress auxquels ils peuvent être soumis sont nombreux. La durée et l’intensité de ces stress toxiques sont également des indices très importants qui vont permettre à la communauté d’élaborer le plan d’action. Par exemplae, un stress qui perdure et qui est lié aux conditions de vie difficiles d’un enfant aura pour conséquences des lacunes dans son développement global. Et cela concerne tout le monde, car un enfant en difficulté, c’est aussi un coût à long terme pour la société. Pour pallier ces difficultés, nous pouvons compter sur un réseau important de donateurs. Ainsi, le fait d’offrir, de façon anodine, une paire de baskets à un enfant pour qu’il puisse faire du vélo est grandement facilité.

Intervenez-vous dans le domaine judiciaire ?

Oui, nous avons développé une procédure : « le cercle de l’enfant ». Il s’agit d’une grande médiation qui est là pour éviter au maximum le placement des enfants. Cette solution ultime, hormis bien sûr les cas d’abus ou de maltraitance, est souvent catastrophique pour les petits. En cas de litige, si nous suivons ou avons suivi la famille qui passe en jugement, nous produisons notre propre rapport. Les juges font souvent appel à nous pour pouvoir prononcer un jugement éclairé en redonnant en quelque sorte la parole à la famille; ce rapport sera examiné par le juge, au même titre que celui de la DPJ…


Lors de ma visite en Loire-Atlantique, j’ai été surpris par l’accueil qui m’a été offert. Il y avait une grande ouverture, et une forte volonté de la part de nombreux acteurs de lancer des projets de pédiatrie sociale en communauté. Le département est, à mon sens, prêt à démarrer cette approche, les milieux politique, judiciaire et social sont très intéressés, je pense donc que pour la Loire-Atlantique, c’est le moment d’y aller ! 

Quotation

Dans un système communautaire, quelle place pour la confidentialité ?

La confidentialité reste indispensable dans de nombreux domaines, mais l’instaurer en pédiatrie sociale en communauté serait un non-sens. Dès lors que le secret professionnel est invoqué par un intervenant, les bouches se ferment et les situations se bloquent. Lorsque nous sommes tous autour de la table pour aider un enfant, l’avocat explique aux parents qu’ils sont les propriétaires de l’information et lorsqu’ils donnent leur accord de partage, le secret professionnel est de facto levé, ce qui garantit la collégialité de la solution. À partir de là, les langues se délient et les forces se démultiplient

Quand l’enfant est au centre

La fondation gère les deux centres « référents » historiques de pédiatrie sociale, comment fonctionnent-ils ?

Nous gérons en effet directement deux centres de pédiatrie sociale en communauté. Ces centres prennent en charge des nourrissons comme de jeunes adolescents qui font face à des problèmes de pauvreté chronique, d’intégration, etc. Au sein de ces centres, les enfants les moins choyés ont accès à un suivi médical, psychosocial, psychoéducatif… Ils sont stimulés par différents ateliers, comme de l’art-thérapie, de l’ergothérapie, des activités sportives et culturelles. L’un des axes que nous développons le plus, car très efficace, c’est la musicothérapie. La pratique et l’accès à la musique pour tous les enfants, de tous les âges, et toutes musiques confondues, avec différents instruments est également une priorité. À Hochelaga, ça se passe dans un garage rénové. C’est un lieu aujourd’hui fréquenté par plus de 300 enfants par semaine. La musique fait beaucoup de bien aux enfants, même aux bébés. On offre aussi du soutien scolaire par la musique, et ça marche ! On en ramène un certain nombre qui seraient sans doute tombés dans le décrochage.

Quels sont les facteurs de réussite pour implanter un centre ?

La condition sine qua non : la volonté de créer le centre doit émerger de la communauté. Il faut que ça vienne des gens, ensuite nous donnons les étapes à suivre, les formations… L’idéal, c’est de commencer petit. Faire du porte-à-porte et proposer aux gens du quartier un café peut paraître anodin, mais c’est souvent la clé d’entrée dans les familles. Une fois le lien de confiance créé, nous pouvons commencer à les informer des services offerts. Je ne peux pas livrer de « recette », car il n’y a pas un modèle unique. En tout cas, pas besoin d’être cinquante dès le début, un pédiatre et une infirmière peuvent commencer le travail ! Il ne faut pas non plus être pressé, le développement de ce type de projet est lent, car, pour aider la société, c’est un enfant à la fois.

INFO +

Cette structure est portée par le Conseil général de Loire-Atlantique. Lors de sa venue à Nantes, le Dr Gilles Julien a visité Le Sablier. Pour lui cet espace pourrait tout à fait évoluer vers un centre de pédiatrie sociale, car les bases sont présentes et la population est réceptiveLe Sablier, c’est un lieu d’accueil implanté dans le quartier des Dervallières, à Nantes depuis juin 1992. Dans les années 80, ce quartier souffrait particulièrement du chômage et les familles, de l’isolement. Les parents, par méconnaissance ou peur du jugement, ne fréquentaient pas les professionnels susceptibles de les accompagner. Comment, dans ce cas, leur procurer aide et soins ? La création du Sablier a apporté la réponse. Ce lieu est ouvert à tous, les familles viennent sans formalité et sans inscription et peuvent y redécouvrir les plaisirs de la parentalité. Sont présentes une quinzaine de personnes du milieu médical, paramédical, éducatif… et également deux accueillants chargés de mettre parents et enfants à l’aise.

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