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le 19 avril 2022

L’avenir du travail

À en croire certains médias, un tsunami digital va déferler sur l’emploi et balayer nos conceptions actuelles du travail. Les nouveaux robots vont se mettre à imprimer des objets en trois dimensions, à traduire des documents, à rédiger des polices d’assurances, à accompagner les personnes âgées dans les maisons de retraite, à suggérer des diagnostics aux médecins, et bien d’autres tâches plus étonnantes les unes que les autres, ce qui conduira à la disparition d’une part importante des emplois actuels. La notion même d’emploi risque d’ailleurs de s’estomper au profit d’une collection de tâches ou de projets qu’il va falloir obtenir sur des plateformes en ligne et une « ubérisation » du travail se profile à l’horizon. Ce n’est pas la première fois que l’on entend ce type de discours concernant les effets de l’informatisation sur l’emploi, tantôt sur un ton pessimiste, tantôt sur un ton optimiste.

Cet article s’appui sur les travaux de Patricia Vendramin et Dominique Meda, certains passages sont des extraits des travaux mentionnés en fin d’article

Ce sont souvent des développements technologiques spectaculaires qui ravivent cette question. Au début des années 1980, au moment où le modèle économique fordiste s’enfonçait dans une crise profonde, c’est l’arrivée dans les entreprises des microprocesseurs et des premiers ordinateurs personnels qui suscitait l’inquiétude par rapport aux destructions d’emploi. Autour de l’an 2000, au moment où émergeait le concept un peu flou de « e-économie », c’est la diffusion accélérée d’internet qui alimentait les spéculations sur une relance de la croissance, au prix d’une généralisation de la flexibilité du travail. Aujourd’hui, ce sont certaines performances prodigieuses dans le domaine de la robotique, des objets connectés, du big data et des plateformes virtuelles qui donnent lieu à une remise en question de l’emploi salarié. Entretemps, les technologies digitales se sont banalisées, elles sont devenues familières dans notre univers professionnel et personnel quotidien ; une approche binaire avec d’un côté les bienfaits et de l’autre les méfaits de la technologie surtout parmi les jeunes générations. 

Pourquoi travaille-ton ?

Une perspective historique 

L’idée que le travail est une activité à travers laquelle les êtres humains peuvent transformer le monde dans lequel ils se trouvent, participer à la vie sociale et exprimer leur personnalité est assez nouvelle.

Si la composante instrumentale du travail – sécurité et revenu – reste essentielle, l’activité professionnelle est devenue également un vecteur de lien social et le lieu d’attentes expressives fortes : s’épanouir dans son travail, développer ses compétences, être reconnu, trouver du sens à sa tâche, faire œuvre utile, etc. Ces attentes relevant du développement et de l’épanouissement personnel dans le travail ont pris de plus en plus d’ampleur depuis les années 1950. On assiste a un effacement de la dimension instrumentale et doloriste du travail au profit d’une autre dimension, tournée vers l’individu. 

Ce changement de paradigme est le fruit d’une part, du développement de l’État social et de l’idée qu’il incombe à celui-ci de garantir le bien-être de ses citoyens et, d’autre part – et surtout –, l’explosion de la croissance économique qui a soudain rendu accessible l’utopie du travail-plaisir, la transformation du tripalium ou du travail-devoir en instrument de réalisation et d’expression de soi. La société est désormais au service de l’épanouissement des individus qui, auparavant, se réalisaient en menant à bien la mission que leur avait confiée la société.

Que devient le travail dans une économie numérique ?

La technologie est aujourd’hui partout et au travail particulièrement. Il a été dit qu’elle changerait littéralement le monde du travail.  Il est toutefois utile de prendre également un peu de recul car tout n’est pas « nouveau » et tout n’est pas disruptif. Les technologies vraiment nouvelles susceptibles d’induire une nouvelle vague de mutations du travail ne sont finalement pas si nombreuses.  

Le point sur les changements technologiques 

Dans le domaine technologique, ce qui marque véritablement un tournant, ce sont six nouveaux champs qui se sont développés de manière accélérée ces dix dernières années. On retiendra le déploiement du cloud, pour stocker des volumes impressionnants de données et permettre l’utilisation en parallèle d’infrastructures informatiques situées dans des endroits différents. Le big data a également connu une expansion fulgurante, comme les applications mobiles et la géolocalisation, toutes deux opérationnelles sur une multitude de supports. Plus récemment, l’internet des objets, les machines apprenantes et la robotique mobile ont aussi dépassé des seuils significatifs de performance et d’expansion dans de multiples domaines. Si cette nouvelle donne technologique conduit à un déplacement de la frontière entre les capacités des humains et des machines, il est sans doute précipité, et très probablement erroné, de conclure à une substitution de l’homme par la machine. Il s’agit davantage de penser complémentarité plutôt que remplacement.

Le point sur le modele économique

Comme pour les changement technologiques, certains facteurs de changement sont radicalement nouveaux et d’autres facteurs de changement ne sont qu’un prolongement de tendances déjà observables depuis une ou deux décennies. 

Parmi les premiers, on relèvera d’abord le développement de l’économie de plateforme, qui repose sur de nouveaux modèles de fonctionnement des marchés et de nouveaux modèles d’affaires. Ces modèles économiques provoquent, d’une part, une redistribution des cartes en matière de pouvoir économique, favorisant l’émergence de nouveaux monopoles; d’autre part, ils favorisent aussi le développement d’activités économiques dites collaboratives, reposant sur les échanges de pair à pair. 

Une autre nouveauté radicale est la multiplication des biens et services digitalisés qui peuvent être produits et reproduits à des coûts marginaux presque nuls, grâce aux externalités de réseau positives – mais sans prendre encore la pleine mesure du coût écologique que cela implique. 

Si l’information numérique en tant que ressource économique stratégique n’est pas un concept nouveau ;  l’explosion du volume de cette information et  la puissance des logiciels de traitement est une vraie nouveauté. Il en est de même du modèle industriel «4.0», qui constitue une accélération de tendances existantes dont la principale nouveauté réside dans les perspectives d’exploitation des objets connectés et de la nouvelle génération de robots.

Le point sur le travail et l’emploi 

Que disent les prévisions en matière d’impacts de la digitalisation sur l’emploi ? Le spectre des estimations actuelles est très large : au pire, environ 50% des emplois seraient fortement menacés d’ici quinze à vingt ans (Frey et Osborne, 2013), ce qui alimente évidemment les discours sur la fin du travail. Au mieux, environ 10% des emplois seraient menacés mais la moitié des emplois existants seraient profondément transformés, sans pour autant disparaître. D’autres études récentes se situent entre ces deux extrêmes mais loin des estimations les plus pessimistes. Cet écart important s’explique par des divergences profondes dans l’analyse de la relation entre la technologie et les transformations du travail, ainsi que dans les représentations du contenu du travail et de la nature des métiers. Prenons l’exemple de deux études. 

La  première  (réalisée par Frey et Osborne à l’Université d’Oxford) privilégie deux domaines technologiques : les machines apprenantes et la robotique mobile. Elle repose sur des avis d’experts en robotique et en intelligence artificielle concernant le potentiel de substitution du travail humain par ces machines. 

Elle part de l’hypothèse que les performances exponentiellement croissantes des technologies digitales laissent entrevoir, à un horizon d’une ou deux décennies, la possibilité d’informatiser et de robotiser non seulement des tâches routinières, manuelles ou intellectuelles, mais aussi des tâches non routinières, comportant une dimension cognitive importante ou une dimension intuitive.

Cette étude repose sur une conception du travail où les métiers sont définis par un assemblage de tâches, semblable dans tous les emplois, et où ce sont essentiellement les technologies et leurs limites qui déterminent le potentiel d’automatisation de ces tâches. Il s’agit tout compte fait d’une conception assez simpliste du travail car un métier ne se définit pas seulement par un assemblage de tâches, mais aussi par un positionnement dans une organisation, par des compétences acquises dans la formation et par l’expérience, par une trajectoire ou une carrière, par l’appartenance à un collectif de travail ou un groupe professionnel. L’organisation du travail est aussi le fruit de rapports de forces entre acteurs, de négociations et de compromis. 

En se démarquant de cette approche, une deuxième étude (réalisée pour l’OCDE  par Arntz, Gregory et Zierahn, 2016) part du constat que, au sein d’un même métier, l’hétérogénéité du contenu des emplois est très grande et que, d’un emploi à l’autre, le panier de tâches peut présenter de grandes différences. La plupart des métiers comportent des tâches qui ont une probabilité tantôt forte, moyenne ou faible de substitution par des machines intelligentes. Leur assemblage varie d’un emploi à l’autre, selon les choix effectués par les employeurs en matière d’organisation du travail, de gestion des compétences, de stratégie d’innovation. De plus, les salariés eux-mêmes ont une certaine intuition de l’évolution technologique et ils tendent à privilégier, dans leur panier de tâches, celles qui entrent le moins en compétition avec les performances des machines intelligentes. 

Au final, ce ne sont pas des catégories de métiers entières qui sont plus ou moins exposées mais certains emplois à l’intérieur de ces catégories de métiers.

En conclusion, hormis une interprétation littérale de la première étude, rien n’annonce donc la fin du travail mais tout laisse présager des transformations importantes des métiers et des emplois. 

Les leçons du passé 

Est-ce vraiment nouveau? Quand on passe en revue les résultats des recherches sur les relations entre travail et technologie effectuées depuis le début des années 1980, on constate que la perspective du remplacement de l’humain par la machine a ressurgi à plusieurs reprises pour s’estomper peu après. Les analyses pessimistes étaient fréquentes au début des années 1980; dans plusieurs pays (France, Allemagne, PaysBas, Grande-Bretagne). Des rapports gouvernementaux avaient attiré l’attention sur les risques pour l’emploi du développement de la microélectronique, soulignant que les destructions d’emploi pourraient largement supplanter les créations. Ces prévisions alarmistes ne se sont pas vérifiées. Dans les années 1990, c’est une approche plus qualitative qui s’est imposée, mettant en évidence les transformations dans la structure des emplois : structure sectorielle, structure des qualifications, métiers émergents ou en déclin, augmentation de la flexibilité du travail. Au tournant du siècle, l’engouement pour la «nouvelle économie» fondée sur internet a ranimé les controverses sur le potentiel de destruction ou de création d’emplois. La frénésie est vite retombée et une vision plus nuancée s’est imposée, considérant les technologies de l’information et de la communication (TIC) comme un «amplificateur de tendances» dans les restructurations des entreprises et les transformations du travail, notamment la flexibilisation et l’émergence de nouvelles formes de travail. 

L’érosion de la relation d’emploi traditionnelle

Au bout du compte, la technologie aura contribué à déplacer le travail bien plus qu’à le remplacer. Dans un contexte de mondialisation croissante, elle a favorisé les déplacements d’emplois entre les maillons successifs des chaînes de valeur, creusant l’écart entre les plus qualifiés et les moins qualifiés. D’autres déplacements se sont produits entre les différents statuts du travail et de l’emploi, entre la stabilité et l’instabilité, la sécurité et la précarité. Plusieurs développements récents de l’économie digitale accélèrent ces déplacements : le travail à la tâche pour des plateformes en ligne, le travail virtuel, le travail nomade, le travail à la demande, les nouveaux canaux d’intermédiation sur le marché du travail, l’expansion du travail indépendant économiquement dépendant, ainsi que la prolifération des petits boulots occasionnels confiés à ceux que Casilli (2019) nomme les «tâcherons du web», faiblement rémunérés et ne bénéficiant que de peu ou pas de protection sociale. Ces développements mettent à l’épreuve les fondements de la relation d’emploi. La notion de lieu de travail est remise en question, de même que la signification et la mesure du temps de travail. La formation des salaires est mise en cause par les pratiques en vigueur dans l’économie de plateforme. Les liens de subordination deviennent plus flous. La représentation collective et la négociation sociale doivent s’élargir vers de nouvelles formes d’organisation de la solidarité dans des univers professionnels de plus en plus diversifiés et dispersés. Tout ceci contribue à une érosion de la relation salariale et des protections qui lui sont associées. L’évaluation des impacts de la digitalisation sur l’emploi ne peut donc pas se limiter aux effets de substitution du travail humain par des machines intelligentes. Elle doit aussi prendre en compte les effets de substitution des emplois standard par un éventail de plus en plus large de nouvelles formes d’emploi, ainsi que les évolutions de la signification du travail et de la place du travail dans la société.

Entre attachement et peur : un rapport au travail ambivalent

Les difficultés contemporaines

Le travail ne peut pas être réduit à un assemblage de tâches plus ou moins remplaçables par des machines : c’est une valeur constitutive de la société actuelle. Il confère une identité sociale, fournit des places, des droits. Dans les recherches effectuées depuis le début des années 1980, la perspective du remplacement de l’humain par la machine a ressurgi à plusieurs reprises pour s’estomper peu après. Il est porteur d’intégration et de reconnaissance et c’est pour cette raison que l’exclusion du travail est aussi une exclusion de la société.

En dépit de conditions de travail fortement transformées et de l’augmentation de maux et d’insatisfactions liés au travail, la centralité de ce dernier dans la vie des Européens est confirmée dans les vagues successives de l’enquête EVS2 : seule une minorité de personnes interrogées – moins de 20% dans quasiment tous les pays – déclaraient en 2008 que le travail n’est «pas très important» ou «pas important du tout» dans leur vie.

Un sens du travail qui évolue 

Si le travail revêt une finalité instrumentale, dans le sens où il est recherché pour la sécurité d’existence et l’accès aux droits et protections qu’il assure, il est aussi recherché pour le développement ou l’affirmation de soi, de même que pour la reconnaissance qu’il procure. Cette signification sociale du travail trouve généralement trop peu d’espace dans les débats sur la fin du travail, de même que dans les controverses autour du revenu de base, souvent réactivées en période de chômage élevé et persistant.

L’insecurité  

Le premier type d’insécurité au travail est la forme du contrat qui lie les salariés à leur entreprise. Le contrat à durée déterminée (CDD), le contrat d’agence intérimaire ainsi que les contrats qui concrétisent l’ensemble des autres statuts supposent une durée de travail finie et, souvent, un moindre accès à la protection et aux avantages sociaux auxquels le contrat standard à temps plein et à durée indéterminée donne droit (couverture en cas de maladie ou invalidité, allocation de chômage, congé de maternité, etc.).

Selon l’enquête Eurostat sur les forces de travail (Eurostat 2016), les contrats temporaires représentaient 14 % de l’emploi total dans l’Europe des 28 en 2016 – mais 32 % pour les moins de 30 ans. 62 % des personnes concernées ont accepté ces contrats faute d’avoir pu trouver un emploi permanent. L’emploi à temps partiel, en croissance régulière, concernait un salarié européen sur cinq cette même année, mais ce chiffre dissimulait de grandes disparités entre pays et selon le sexe. 

En 2015, 17 % des salariés européens vivaient dans la crainte de perdre leur travail au cours des six mois suivants, mais ce chiffre s’élevait à 45 % des salariés en CDD. Cet indicateur de l’insécurité socioéconomique vécue a progressé de trois points de pourcentage entre 2005 et 2015. Un certain nombre d’études prospectives ont montré qu’il était, dans la plupart des cas, annonciateur d’une perte d’emploi réelle. La part des ménages de travailleurs qui déclarent avoir des difficultés à « joindre les deux bouts », est croissante et représente le tiers des personnes au travail en 2015 . Ces difficultés économiques perçues étaient plus répandues parmi les salariés titulaires d’un CDD (48 %) ou d’un autre arrangement contractuel (52 %) que parmi les détenteurs de contrat à durée indéterminée (31 %). Selon le dernier rapport Benchmarking Europe (2017), les travailleurs pauvres sont de plus en plus nombreux en Europe (près d’un travailleur sur dix en 2017), particulièrement parmi les indépendants, les personnes peu diplômées et les salariés en contrat temporaire ou à temps partiel. Par ailleurs, de nouvelles formes de précarité de l’emploi pourraient naître de l’avènement de l’économie numérique et de la rapide multiplication des « petits boulots » disponibles sur internet.

Manque de reconnaissance : 

La majorité des salariés européens ont le sentiment de bien faire leur travail (80 %) et d’être utiles (84 %). Mais 16 % d’entre eux ne se sentent pas reconnus dans leur travail et 38 % seulement pensent avoir des perspectives de carrière.

Stress : 

De nombreux autres indicateurs permettent de prendre la mesure de la prévalence de certains symptômes (dont les troubles du sommeil, la fatigue générale, l’anxiété et le stress) et de mieux comprendre le lien entre ces troubles et certaines caractéristiques organisationnelles ou professionnelles. Ainsi, 36 % des salariés européens ont souffert de fatigue générale au cours des douze mois précédant l’enquête, 18 % d’insomnies ou de troubles du sommeil (plusieurs fois par semaine) et 15,5 % de dépression ou d’anxiété. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souffrir de fatigue générale, d’insomnie et de troubles du sommeil. Une proportion importante de salariés européens déclare également avoir été confrontée au stress dans le cadre de son travail : près de 10 % « toujours », 17 % « la plupart du temps », 40 % « parfois », un peu plus de 19 % « rarement » et 14 % « jamais ». Plus d’un salarié sur quatre déclare ainsi être régulièrement exposé au stress dans le cadre de son travail. L’exposition au stress diffère selon les professions. Elle est fréquente dans les fonctions de management (34 %) ainsi que dans la catégorie des professions supérieures et des enseignants (29 %), parmi les opérateurs d’installations industrielles et les ouvriers de chaînes d’assemblage (29 %) et parmi les techniciens des services et de l’industrie, ainsi que les assistants (29 %). Les disparités entre pays sont également importantes.

Vie prive et vie pro :

On observe tout d’abord un rejet de la place centrale accordée au travail et une volonté de mener de front des projets dans divers domaines. Si le travail reste une valeur importante pour les Européens, ils expriment aussi le souhait de pouvoir s’épanouir dans d’autres sphères de vie qui contribuent toutes à leur construction identitaire – la famille en particulier, mais aussi les amis, les loisirs, la vie sociale et la vie citoyenne. Tant pour les femmes que pour les hommes, l’évolution de ce rapport au travail rend d’autant plus nécessaire la redéfinition des modalités de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. 

Malgré une répartition des rôles encore très inégalitaire, on observe un nouvel engagement des hommes dans la famille qui augmente avec le niveau d’éducation du partenaire masculin ainsi que dans les familles où les deux partenaires sont actifs. Par ailleurs, les jeunes femmes – qui ont, en moyenne, un niveau de formation supérieur à celui de leurs homologues masculins – souhaitent s’engager pleinement dans la vie professionnelle et ne se perçoivent plus comme des pourvoyeuses de salaire d’appoint. Les jeunes femmes construisent de plus en plus fréquemment leur identité sociale à partir de leur travail. Ce rapprochement des modèles de genre dans le rapport au travail – pour les jeunes diplômés en particulier – incite les responsables des ressources humaines à remettre en question les modalités de rétention des jeunes diplômés et à tenir compte des nouveaux types de compromis que des jeunes cadres masculins sont prêts à faire pour trouver un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.

Prise en compte du vieillisement :

Le maintien en emploi des travailleurs âgés – qui s’impose aux économies européennes – est très dépendant des conditions de travail. Sur la base des données 2010 de l’enquête EWCS, le rapport Eurofound montre que le maintien des salariés les plus âgés dans la vie active est fortement corrélé aux conditions de travail (Vendramin et al., 2012). Les facteurs les plus défavorables à ce maintien sont les rythmes de travail élevés, l’exposition à des risques physiques, les postures douloureuses, le travail de nuit ou par poste, le mauvais équilibre entre travail et vie personnelle et enfin le fait d’être confronté à des comportements agressifs ou au harcèlement.

De la qualité du travail au travail soutenable

Dans un contexte de vieillissement démographique, d’allongement de la vie professionnelle et de développement des maux contemporains liés au travail, dont les troubles musculo-squelettiques et psychosociaux, une nouvelle manière d’appréhender les conditions de travail s’est peu à peu échappée du champ scientifique pour entrer dans le champ politique : le travail durable, ou soutenable. Ce concept, qui tend à remplacer celui de qualité du travail, trouve son origine de la notion développement durable, laquelle est définie comme suit dans le rapport Brundtland : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette approche a été appliquée au fonctionnement de l’entreprise, et en particulier au travail.

Les tenants de cette nouvelle perspective devront encore relever deux défis conceptuels : s’accorder sur une définition de la qualité du travail et intégrer la dimension dynamique des parcours. Ces enjeux sont à la fois conceptuels et stratégiques. La définition de la qualité du travail fait l’objet de discussions au sein même de différentes disciplines scientifiques et de débats entre décideurs publics. Et, si la nécessité de prendre en compte la dimension dynamique des parcours individuels semble faire l’unanimité, l’opérationnalisation de cette perspective fait figure de défi scientifique complexe et sa mise en œuvre nécessitera de nouveaux types d’approches. Les débats nationaux tendus sur les comptes de pénibilité témoignent de la difficile concrétisation de cette perspective.

Sources

Dominique Méda & Patricia Vendramin (2013). Réinventer le travail. Paris, PUF.

Vendramin, Patricia, & Agnès Parent-Thirion (2019). Redefining Working Conditions in Europe. International Development Policy , Revue internationale de politique de développement, The ILO 100, 273-294.

Valenduc Gérard & Patricia Vendramin (2019). La fin du travail n’est pas pour demain. Notes de prospective 6. Bruxelles: ETUI. FR et EN

Valenduc Gérard & Patricia Vendramin (2019).

Le travail dans l’économie digitale : continuités et ruptures. Working paper 2016.03, Bruxelles: ETUI. FR et EN

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