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le 10 septembre 2019

Quand les citoyens imaginent leur campagne idéale

Le 19 octobre 2018, une vingtaine de citoyen.ne.s de Loire-Atlantique ont accepté de relever le défi : celui d’imaginer collectivement ce que pourrait être l’avenir de la campagne en Loire-Atlantique. Ils avaient 6 mois devant eux pour dessiner le paysage du monde rural de demain. Un vaste projet pour ces hommes et ces femmes, retraités, actifs, père et mère de famille, étudiants, tous volontaires. Une demi-journée par mois, ils ont accepté de mettre entre parenthèses leur quotidien mouvementé pour se retrouver autour d’une table. À grand renfort de post-it, de carte mentale, de world café, ils ont expérimenté la force de l’intelligence collective et transformé leurs histoires individuelles en vision collective. Voici le récit de ce cheminement…

A la recherche d’une définition

Pour aborder la campagne, notre groupe de citoyen.ne.s engagé.e.s a commencé par regarder…dans la direction opposée ! Les yeux tournés vers la ville. Cette ville qui grignote du terrain et finit par nous questionner : jusqu’où va-t-elle ? Se poser cette question, c’est s’interroger sur cette ligne de moins en moins nette qui sépare la ville de la campagne. Où placer cette frontière ?

Pas simple. Géographes, sociologues, statisticiens INSEE, économistes s’y sont essayés. Et chacun a sa réponse. Peut-il en être autrement quand on ne parle pas le même langage ? Car si pour certains géographes, la campagne se caractérise d’abord par la « prédominance de formations végétales dites  » naturelles  » », pour d’autres, la campagne est surtout « un espace de faible densité de services », alors que certains économistes y voient, eux, d’abord « un espace relativement pauvre, très spécialisé et relativement conservateur ». Et la liste des définitions est encore longue. On pourrait par exemple, y ajouter celles de nos citoyen.ne.s ­motivé.e.s. En arrivant avec leur propre vision de la campagne, tou.te.s ont apporté leur petite pierre à cette tour de Babel.

Comment alors imaginer une vision commune de la Loire-Atlantique rurale de 2050, sans un socle qui fasse consensus ? Pour parler le même langage et avancer ensemble, le groupe devait imaginer sa propre définition de la campagne. Celle qui ferait sens pour chacune des têtes chercheuses qui composent le groupe.
Pour cela, les citoyen.ne.s du groupe ont fait leur inventaire ! Ils ont partagé leur vision intime de la campagne, pour dessiner à plusieurs mains leur carte postale du monde rural.
À force de tris et de rapprochements, le groupe a dressé les contours de ce puzzle d’images et de mots qui représente leur campagne : « Un territoire de faible densité humaine et d’équipements, majoritairement composé d’espaces naturels et cultivés ».
Les mots étaient posés, le groupe venait de réaliser sa carte d’identité de la campagne. Il pouvait maintenant passer les frontières et rejoindre les terres fertiles de l’intelligence collective.

Dans sa quête d’un avenir idéal pour la campagne en Loire-Atlantique, le groupe voulait éviter les conclusions hâtives. Alors avant de regarder devant, il a d’abord pris soin d’aiguiser son œil. Pour partir explorer ce que pourrait être l’avenir du monde rural, les citoyens engagés dans cette grande réflexion ont considéré qu’il fallait d’abord observer l’existant.
« Qu’est-ce qui vous rend heureux ? triste ? en colère, quand vous observez le monde rural ? » En prenant le temps de réfléchir individuellement à ces questions, les membres du groupe ont, en quelques sortes, dessiné leur campagne faite de bonheurs et de larmes. Cet exercice a aussi permis de mesurer la perception que le groupe, composé à 65 % d’urbains, pouvait avoir des bourgs et des campagnes. Vision déformée ? Vision idéalisée ? Vision de vérité ?
Nos citoyen.ne.s volontaires ont d’abord dressé la liste de tout ce qui les met en joie quand ils observent la campagne. Ils y voient un espace de liberté, une terre sécurisante, où les solidarités entre les habitants existent encore. Certains membres du groupe mettent aussi en avant les nouvelles initiatives pour faire vivre les bourgs, quand d’autres voient surtout la beauté de la nature, le calme, l’air pur. Cette nature est, au contraire, une source de colère pour certains citoyens. La pollution, les pesticides mais aussi l’urbanisme et ses règles, qui entrainent le mitage du territoire et réduisent la place de la nature sont des motifs d’énervement. Et ce ne sont pas les seules raisons, pour les membres du groupe, de voir rouge. La disparition des services, des commerces dans les bourgs est aussi un motif de colère chez certains membres du groupe, qui observent une désertification et une disparition progressive de l’activité humaine dans les campagnes. Et la question des transports n’arrange rien à l’affaire. La faiblesse de l’offre de déplacement dans certaines campagnes attriste le groupe. Il en fait le principal responsable de l’isolement d’une partie des ruraux. Mais pas question d’en faire une fatalité ! Cet état des lieux de la campagne, pas toujours très rose, n’est qu’un point de départ pour le groupe. Les citoyens engagés dans la réflexion ne veulent pas s’arrêter à ces constats.


Penser l’avenir de la campagne, c’est imaginer des solutions pour préserver ce qui donne le sourire et améliorer ce qui fait couler les larmes

Quotation

Dessine-moi ta campagne idéale

Réfléchir à ce que pourrait être l’avenir de la campagne, c’est mettre des mots derrière des « si ». Dans cette logique de prospective, le groupe a tenté d’imaginer ce que pourrait être, demain, la campagne rêvée. Dans un moment collectif de projection dans le futur, les citoyen.ne.s engagé.e.s dans la démarche ont pu mesurer le chemin qui les séparait de leur campagne idéale. Une ultime étape avant le choix des problématiques qui accompagneront le groupe dans sa réflexion.

Une cible sur un mur et au centre de celle-ci, le monde rural idéal. Comment viser dans le mille ? Les citoyens du groupe se sont posés la question. Et comme toujours, chacun est arrivé avec sa réponse, miroir de son histoire personnelle avec la campagne. Pour certain.e.s, l’avenir de la campagne sera rose quand les politiques d’aménagement du territoire prendront en compte les disparités territoriales. Pour d’autres, le monde rural sera serein quand il n’y aura plus de discriminations à l’égard des ruraux, ou encore quand il y a aura davantage de mixité intergénérationnelle et de mobilités partagées. Le retour ou le maintien des services et des petits magasins est aussi une condition essentielle pour tendre vers une campagne heureuse.
Pour autant, les citoyen.ne.s du groupe ne veulent pas verser dans le pessimisme. Oui, malgré tout cela, la campagne est déjà majoritairement rose ! Il s’y passe des choses. Mais souvent ces initiatives ne font pas modèles, faute d’être suffisament connues.
Sans le savoir, grâce à ce temps de projection, le groupe venait de dégager ses problématiques clefs. Restait à les mettre en mots. à force de rapprochements d’idées, nos citoyens volontaires sont passés des constats aux questions. Et pour se donner les moyens d’y répondre, le groupe y a mis des « comment ». Il s’est ainsi interrogé sur le lien entre les habitants et la nature (comment protéger la nature à la campagne et gérer la cohabitation homme-nature ?), sur les mobilités (comment optimiser les transports à la campagne en limitant les nuisances ?) mais aussi sur les situations d’isolement (comment améliorer le lien social à la campagne ?), ou encore sur les difficultés à partager les bonnes idées (comment mettre en avant les initiatives positives ?). Le groupe a questionné aussi l’action des décideurs (comment organiser des politiques publiques prenant en compte les disparités territoriales ?) et les moyens de redynamiser les bourgs (comment « revitaliser » les petits commerces, les services et l’emploi ?).
Reste qu’avec un tel éventail de questions, les citoyen.ne.s volontaires engagé.e.s dans l’aventure s’embarquaient pour de longs mois de réflexion. Problème, ils n’avaient que 6 mois devant eux pour construire des pistes de solutions ! Il fallait faire des choix. Alors, le groupe a pris son destin en main en ne retenant que trois problématiques à creuser. Pour motiver son choix, il s’est posé une question : sur quelles problématiques pouvons-nous apporter des solutions à la fois innovantes et ancrées dans le réel ? Un vote a permis de trancher.
Ils avaient décidé : ils avaient devant eux 5 mois pour trouver des pistes pour « revitaliser » les petits commerces, les services publics et l’emploi dans les campagnes ; pour y optimiser les transports tout en limitant les nuisances, et mettre en valeurs les initiatives positives en zone rurale.

La route vers l’innovation citoyenne était tracée !

Pour un avenir en rose

Ses 3 problématiques en poche, le groupe pouvait maintenant partir en quête de solutions. Il avait devant lui 5 séances pour faire émerger le meilleur de l’intelligence collective !

Des villages en vie

Ces vingt dernières années, 25 à 30% des petits commerces ont disparu dans les campagnes. Comment en finir avec cette tendance ? Pour le groupe, il fallait d’abord un point d’ancrage, un socle pour les habitants. Il a ainsi imaginé un espace central, accessible à tous. Ce lieu serait une version moderne de la place du village où l’on trouverait commerces, services et lien social.
On y viendrait voir un spectacle, récupérer ses colis, faire ses courses de produits locaux, ses démarches administratives, prendre un café, faire du troc… et plus si affinités.
Car le plus important pour les têtes chercheuses du groupe, c’est que cette agora ne soit pas restrictive dans son offre. C’est aux habitants d’imaginer ce qu’ils voudraient trouver dans cet espace multiple.
Et pour favoriser cette implication des habitants, nos citoyen.ne.s ont des solutions. Ils ont imaginé un nouveau métier, celui d’ambassad(rice)eur d’idées.
Cette personne, rémunérée, irait au-devant des habitants, recueillerait besoins et idées et mettrait en réseau les initiatives locales et les bonnes volontés. Elle permettrait de renforcer les liens dans la commune, de rompre l’isolement de certains habitants et d’informer sur les initiatives existantes.
Autre piste pour favoriser l’investissement des citoyens dans la vie du
bourg : la valorisation du bénévolat.
Par exemple, donner de son temps pour le fleurissement du village ou l’animation du club de personnes âgées pourrait être récompensé par des avantages en nature, des crédits d’impôt ou encore des points en plus pour la retraite.
Néanmoins, le groupe est conscient que cela ne règlerait pas tout. Le dynamisme du bourg passe aussi par ses commerces. Sur ce point, le groupe est prêt à imposer des contraintes. Par exemple, demain, toute grande surface qui s’agrandira en ville sera dans l’obligation de mettre en place une annexe (fixe ou mobile) dans un bourg qui n’a plus d’épicerie. Cela sera aussi une réponse aux problèmes de mobilité en zone rurale.

Des déplacements facilités

Car 45 % des habitants des communes rurales disent aujourd’hui être soumis à des contraintes de transports simplement pour faire leurs courses. Les ruraux ne comptent plus les heures passées sur la route pour aller chez le médecin ou chercher leur pain. Comment faire alors, quand on ne conduit pas ou plus, ou que l’on n’a pas accès aux transports en commun ? Le groupe a recensé toute une flotte de véhicules qui pourraient être partagés et optimisés.
Par exemple, la voiture de la commune, qui ne sert pas le week-end, pourrait être mise en autopartage le samedi ou le soir. Idem pour les voitures d’entreprise et les véhicules sanitaires qui reviennent souvent à vide. Cela complèterait l’offre de co-voiturage des particuliers.
Mais pour nos citoyen.ne.s en réflexion, ces solutions ne pourront fonctionner que si elles s’accompagnent d’incitations.
Pourquoi pas des avantages pour motiver les « partageurs », qu’ils soient collectivités, entreprises ou particuliers ? Par exemple, les primes d’assurance pourraient être réduites, tout comme la TVA sur les réparations chez le garagiste. L’ouverture de voies réservées aux covoitureurs pourrait aussi leur faciliter la vie et éviter les bouchons. Seul bémol, le dispositif ne peut fonctionner que si les véhicules partagés sont parfaitement identifiés. Comment ? Ce pourrait être une peinture de carrosserie particulière, un macaron sur le pare-brise ou même une lanterne spéciale comme sur le toit des taxis ! Cela permettrait, en plus, aux passagers en recherche de trajets de mieux identifier les véhicules disponibles.
Pour autant, pas question de réduire la question de la mobilité à la seule voiture. Au contraire, on pourrait limiter sa place en se donnant, par exemple, les moyens de développer les mobilités douces. Demain, pourquoi les enfants n’iraient pas à l’école à vélo-bus sur le même principe que le pédibus ? On pourrait aussi mieux indiquer les chemins apaisés qui permettent de se rendre au bourg.
Finalement, à en croire le groupe, il y en aurait des façons de se déplacer à la campagne ! Mais comment s’y retrouver ? Une plateforme avec un conseiller pourrait, par exemple, indiquer à l’usager la meilleure solution de déplacement disponible en fonction de son besoin.
Trop rêveurs, les citoyens du groupe ? Non, ils veulent y croire et sont persuadés que quelque part, en France ou ailleurs, certaines de leurs pistes ont déjà essaimé.

Des initiatives qui se partagent

Mais comment le savoir ? La question de la mise en valeur des initiatives est essentielle. Quand quelque chose fonctionne sur un territoire, pourquoi d’autres territoires ne pourraient-ils pas en profiter ? Nos citoyen.ne.s volontaires ont imaginé des solutions pour favoriser ce partage d’expériences. Pour le groupe, citoyens et élus doivent pouvoir aller rencontrer les initiatives là où elles se vivent. Comment ? Pourquoi pas grâce à une agence de voyage coopérative qui proposerait des excursions sur les territoires porteurs d’initiatives réussies dans le monde rural, ici ou ailleurs. On pourrait aller jusqu’à imaginer un mode d’emploi pour les implanter ailleurs. Ce guide de prototypage serait disponible à tous et chacun pourrait s’en inspirer.
S’inspirer, c’est bien, mais valoriser toutes les idées qui germent sur le territoire, c’est encore mieux. Dans cet esprit, le groupe a imaginé un concours citoyen, ouvert à tous, pour faire pousser les bonnes idées. Et parmi toutes celles qui se seront concrétisées, un label (le label des champs !) permettrait de distinguer et mettre en valeur les initiatives réussies. Reste que pour donner de l’ampleur à ces belles idées, il faut une courroie de transmission. Pour le groupe, les conseils de développement doivent être ce rouage.
Les citoyens qui ont participé à cette grande réflexion, le disent haut et fort : il faut médiatiser les travaux des conseils de développement, il faut les faire davantage intervenir devant les décideurs. En un mot, il faut donner plus de place à l’intelligence collective. Et ce n’est pas nous qui vous dirons le contraire !

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26 juin 2019

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