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le 16 août 2018

Alimentation et surpoids, quand la culture ramène sa fraise

« Finis ton assiette, sinon tu resteras tout petit ! » Pour nos grands-mères, bien (et beaucoup) manger était un gage de bonne santé. Seulement voilà, les temps ont changé, et le contenu de nos réfrigérateurs aussi. Malgré les efforts de nombreux parents pour donner à leurs enfants une alimentation saine et équilibrée, le spectre de l’industrie agroalimentaire n’est jamais loin, la tentation du fast-food non plus. Pourtant, comparée à nos voisins d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, la France se situe dans un contexte bien moins critique concernant la santé de ses enfants. La chance que nous avons réside dans notre modèle alimentaire. Basé sur la commensalité1, il permet d’éviter pour l’instant les dérives rencontrées par les pays anglo-saxons. Mais pour combien de temps encore ? Malgré l’ancrage culturel profond de notre modèle alimentaire, force est de constater que les petits Francais s’arrondissent. Que faire ? Les mettre au régime ? « Sûrement pas ! », vous répondrait Mohamed Merdji. Pour lui, imposer à un enfant de compter ses calories ou de peser ses aliments est un non-sens contre-productif. L’alimentation ne devrait plus être abordée sous l’angle médical, mais culturel. Ce constat est l’une des bases du programme « Educ’Alim » mené par Mohamed Merdji et qui fait déjà ses preuves dans plusieurs écoles de Nantes et d’Angers. Retour sur cet acte quotidien et pourtant si important qu’est manger.

Qu’est-ce que manger ? Cette activité qui se répète trois fois par jour (ou plus !) fait partie des rites les plus profonds de notre société. Il y a encore quelques décennies, les repas étaient régis par des codes très stricts : hors de question de manger seul ! Manger seul signifiait être isolé de l’art de vivre ensemble, être coupé de la communauté. C’était d’ailleurs le sort réservé aux sauvages, aux ermites et aux fous ! La très grande partie de nos aïeux mangeaient donc ensemble. Ces valeurs sont toujours présentes de nos jours, bien que soumises aux pressions venues pour la plupart des pays anglo-saxons. Conserver le modèle français implique de connaître ses bienfaits et ses spécificités, mais aussi de connaître les éventuelles dérives qui nous attendent si nous ne sommes pas vigilants à la façon dont nous nous alimentons et dont nous alimentons nos enfants. Car les petits mangeurs d’aujourd’hui seront les décideurs de demain.

Un modèle qui marche à la baguette

Des repas pris dans des fourchettes

En France, le repas, c’est un moment sacré ! Tous les jours, à des heures précises, les bureaux se vident, les restaurants se remplissent et des milliers de familles passent à table dans une étonnante synchronisation. Si cela nous paraît anodin, vu de l’étranger, et plus encore des pays anglo-saxons, cela n’a rien de naturel. En effet, le Français va suivre une journée très stricte d’un point de vue alimentaire, et prendre ses repas dans des créneaux horaires bien définis. Un non-sens pour bon nombre de nos voisins qui mangent… quand ils ont faim, et il faut bien l’admettre, un peu tout le temps !

Prendre le temps

Non content de manger à heures fixes, en France nous faisons durer le plaisir ! Nous sommes en effet les champions d’Europe du temps passé à table avec en moyenne 2,22 heures par jour, soit deux fois plus que les Mexicains ou les Canadiens ! Le repas le plus long est le dîner, auquel nous consacrons 36 minutes. Attention, il y a toutefois des « adaptations », le Français s’accorde parfois l’excentricité d’un plateau télé ou d’une soirée apéritive…

Un moment de partage

Manger, c’est aussi partager, pouvoir faire une pause, se raconter sa journée et écouter celle des autres. Bien au-delà du repas, c’est un moment d’échanges, de liens, auquel les Français sont très attachés. Manger est donc une activité à part entière, et si d’aventure nous devons faire plusieurs choses en même temps (conduire, travailler, etc.), ce moment est considéré comme étant quelque peu gâché.
Une histoire de codes…
Manger à la française, c’est aussi respecter des codes. Pour la plupart d’entre nous, un déjeuner se compose d’une entrée, d’un plat et d’un dessert; quant au dîner, il se compose de la même façon, mais avec pour singularité le partage du plat principal. Si cela semble aller de soi, ce n’est pas le cas dans de nombreux autres pays où les allers-retours au frigo se succèdent au rythme des envies de chacun.

Un modèle rigide, mais efficace

Plus qu’un simple rite culturel, le modèle français a une autre vertu, et pas des moindres. Il participe à lutter contre l’obésité. En effet, le taux de prévalence de l’obésité et du surpoids y est modéré, comparé aux autres pays de développement équivalent, et cinq fois inférieur à celui des États-Unis ! La régularité et la convivialité des repas permettent d’éviter le grignotage dans la journée, condition indispensable pour lutter contre le surpoids et l’obésité. Des repas pris ensemble et à des horaires réguliers semblent donc être un modèle dont il convient de ne pas trop s’éloigner…


En France, la “macdonaldisation” , si souvent redoutée, n’a pas eu lieu : aujourd’hui comme hier, le repas “à la française” rythme nos vies et nos imaginaires. Les deux grands piliers de notre modèle alimentaire – synchronisation et socialisation – sont encore bien vivants : malgré le développement de la restauration rapide, les bouleversements du monde du travail et l’émergence d’une culture “jeune”, les Français continuent à prendre leurs trois repas quotidiens à heure fixe et à valoriser, à table, la convivialité, le plaisir et le partage de la nourriture.

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Le menu à l’anglo-bacon

Les États-Unis : le pays XXL

Si je vous dis obésité, vous visualiserez peut-être un Américain attablé dans un fast-food. Et vous auriez sans doute raison ! Aux États-Unis, un enfant sur dix est obèse et 35 % de la population adulte souffre de cette pathologie. Cette épidémie qui sévit depuis plusieurs décennies est évidemment due à la malbouffe, omniprésente, au rythme de vie trop sédentaire, mais aussi à la façon de manger, ces trois aspects étant bien sûr corrélés.

Le règne de l’individualisme

Si nous ne sommes pas à une différence près avec les Anglo-Saxons, l’alimentation est peut-être l’un des plus grands points de divergence. Si pour un Français, la notion de partage arrive en deuxième position quand on évoque la nourriture, elle n’est tout simplement pas présente pour un Américain ou un Anglais, qui pensera prioritairement aux ustensiles de cuisine, à la rapidité ou encore à la santé. Alors que nous allons manger un repas, les Américains vont absorber de la nourriture. Au Royaume-Uni, mais c’est aussi le cas dans de nombreux autres pays, dans le nord de l’Europe par exemple, les horaires des repas sont quasiment inexistants : la fourchette horaire du dîner s’étend de 17 heures à 22 heures. Et durant ce laps de temps, toutes les familles ne vont pas passer à table, il n’est pas rare de voir petits et grands se succéder à la porte du réfrigérateur et retourner vaquer à leurs occupations… Shocking ?

La France, paradis de la nutrition ?

Des petits plats encore trop gras

Même si pour l’instant, en tant que bons Gaulois, nous résistons tant bien que mal à changer notre façon de nous alimenter, tout n’est pas non plus idyllique au pays du jambon fromage. Des enfants en surpoids, il y en a aussi en France, et de plus en plus. 3,5 % des enfants étant aujourd’hui considérés comme obèses dans notre pays. Si notre modèle favorise une alimentation « cadrée », il n’en reste pas moins que les assiettes des enfants sont trop grasses, trop assaisonnées… les légumes sont quant à eux souvent aux abonnés absents. Plus alarmant, presque 30 % des enfants mangent devant un écran. Cette mauvaise habitude a des répercussions fortes : un enfant qui mange de cette manière ne va pas savourer son repas, il va juste l’absorber. Au-delà de ces comportements alimentaires inadaptés, c’est le milieu social d’origine des enfants qui va avoir le plus d’influence sur leur façon de manger. Un enfant d’ouvriers et/ou d’employés mange globalement moins équilibré que celui qui a des parents cadres. C’est là que le rôle des cantines est primordial, pour tenter d’atténuer ces inégalités et de permettre à tous les enfants d’avoir le même accès à une alimentation variée.


41 % des moins de 25 ans mangent des en-cas – chips et barres chocolatées – au cours de la journée, contre seulement 20 % des plus de 60 ans

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Educ’Alim ou la culture de l’alimentation

Faire manger de tout aux enfants, l’idée n’est pas nouvelle. Bandeaux d’avertissements, programmes nutritionnels, Manger Bouger, les fameux cinq fruits et légumes par jour… de nombreuses actions sont mises en place pour veiller au tour de taille des petits Français. Mais les enfants, qu’en pensent-ils ? Cinq fruits et légumes par jour, ça veut dire quoi ? Comment demander à des enfants qui savent à peine compter de bien doser leur apport en sucres et en graisses ? Non content d’être compliqués, ces programmes se révèlent souvent inefficaces. C’est de ce constat qu’est parti le Dr Mohamed Merdji lorsqu’il a lancé le programme de nutrition Educ’Alim.


Lorsque l’on demande à un enfant ce qu’il a mangé à la cantine le midi, la réponse est souvent « je ne sais plus »… Même si l’équilibre nutritionnel y est respecté, les menus ne laissent a priori pas un souvenir mémorable ! Manque de saveur des plats, présentation parfois inexistante et « tout fait », les critiques sont légion. Pourtant, le rôle à jouer par la cantine est primordial puisqu’il reproduit le modèle commensal déjà appliqué en famille. Au-delà du simple service, elle a donc un rôle éducatif, et même sanitaire. Selon Public Health Nutrition, une revue spécialisée, « la fréquence des repas pris à la cantine est l’un des principaux facteurs de protection contre le surpoids et l’obésité chez les enfants français ». Avec plus de 7 millions d’élèves qui la fréquentent, il serait opportun de s’y interesser de plus près. Certaines améliorations, très simples, pourraient redonner aux enfants le plaisir de se mettre à table. D’ailleurs, de nombreuses cantines ont choisi de faire évoluer leurs pratiques. Self-service, produits frais, voire bio, respect de la saisonnalité et amélioration de la présentation… les retours d’expérience de ces établissements avant-gardistes sont très positifs.

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L’alimentation, ça se cultive

Educ’Alim, c’est un projet pilote qui permet de tester l’impact qu’aurait un programme d’éducation alimentaire à l’école. Ce programme est basé sur trois types d’actions. Tout d’abord, une action de formation à la connaissance des aliments, sous forme de modules de cours élaborés avec les enseignants. Ensuite, il s’agit de mener des actions de type « main à la pâte », car c’est en jardinant et en cuisinant que les petites mains s’approprient vraiment ce qui se retrouve dans leurs assiettes. Enfin, des visites sur les marchés et les sites de production permettent de leur donner une idée concrète de la manière dont est organisée la chaîne de production des aliments.

Chouette, des endives !

À l’heure actuelle, le programme entre dans sa deuxième année d’expérimentation. Les 584 enfants qui participent au programme sont issus d’écoles de Nantes et d’Angers, neuf écoles sont pilotes et huit sont témoins. Les indicateurs choisis ne sont pas le fruit du hasard, puisqu’il s’agit des meilleurs amis des enfants : les choux de Bruxelles et les endives ! L’étude menée permet de mesurer les changements de comportements suite aux différentes actions menées autour de ces deux aliments.

Des résultats avérés

Le programme s’étant achevé en juin 2014, ses effets ont été totalement évalués et sont très positifs. Les jardinières installées dans les écoles pilotes ont permis aux élèves de faire connaissance avec la culture de plusieurs légumes. Selon les enseignants, cette activité est un complément qui renforce les autres actions menées, notamment les modules d’enseignement. Les ateliers cuisine ont quant à eux connu un vif succès qui ne devrait pas se démentir dans la seconde phase d’expérimentation. Les petits toqués ont été ravis de découper, d’éplucher et de participer à l’élaboration des recettes. Ces ateliers ont également mis en évidence un changement de comportement face aux endives et aux choux de Bruxelles qui étaient au menu. Au départ très négatives, les réactions se sont apaisées, et la plupart des enfants ont goûté à leur préparation. Plus intéressant encore, ces mêmes aliments ont été cuisinés à l’identique par les cuisines des cantines de Nantes et d’Angers, les légumes en question ont été très largement plus consommés par les enfants pilotes que par les autres : à bon entendeur !

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